Une entrevue avec Pat et Gerard Green
Source : Musée régional de North Lanark
Pat et Gerard Green se sont entretenus avec Rita Cornell, une bénévole de la Société historique de North Lanark, de la perte de leur sœur Marie dans l’accident de train d’Almonte. L’entrevue a eu lieu le 14 juin 2013 au Musée régional de North Lanark dans le cadre du projet de visite virtuelle (Video Tour) de 2013, un projet mis sur pied par la Société historique de North Lanark pour documenter l’histoire de Mississippi Mills.
Pat et Gerard Green sont assis à une table à la gauche de Rita Cornell, tous des citoyens âgés.
Pat : « Le curé de la paroisse locale avait conduit maman et papa à Almonte parce qu’ils étaient toujours sans nouvelles de Marie et qu’une tempête de neige faisait rage. Je me souviens que Gérard et moi étions dans la cuisine avec mon oncle Jack et qu’au bout d’un moment, un autre prêtre, le père Hass, est arrivé. Je me souviens de ses paroles très abruptes : “Nous avons eu des nouvelles de Marie : elle est morte.” (rires) Je suppose qu’on pleurait. Je ne m’en souviens pas, mais on devait pleurer. Et puis après cela, je me souviens que ma voisine est arrivée et qu’elle a immédiatement enlevé l’arbre de Noël et l’a traîné jusqu’à l’arrière de la maison, où mon père avait un atelier. Et je me suis dit : “Pourquoi fait-elle ça?” Puis, j’ai entendu : “Votre mère ne voudra pas voir ça quand elle reviendra.” Je ne comprenais pas pourquoi elle n’aurait pas voulu voir l’arbre de Noël à son retour, vous savez. Après ça, c’est un peu flou. Je me souviens du retour de mes parents à la maison. Non, je ne m’en souviens pas vraiment. Je me souviens que nos voisins, mes cousins germains, vivaient à Cormack dans une ferme. À l’époque, le nombre de sonneries était différent d’une ferme à l’autre. On n’était pas censé écouter, mais tout le monde le faisait. C’est comme ça qu’on entendait les ragots locaux (quelqu’un rie hors champ). C’est comme ça que les Foran, Mme Foran étant la sœur de mon père, ont appris la nouvelle. Et ils ont dû descendre à ce moment-là. Je ne me souviens pas qu’ils soient descendus, mais ils devaient être là. Et la prochaine chose dont je me souviens – (elle demande à Rita Cornell) Dois-je continuer? »
Rita : « Eh bien, oui, si vous voulez, certainement, allez-y. »
Pat : « Eh bien, l’instant d’après – Gérard, tu peux ajouter des détails si tu veux. »
Gerard : « Non, tu t’en sors bien. »
Pat : « Ensuite, ce dont je me souviens, c’est de l’arrivée du cercueil à la maison. À cette époque, les veillées funèbres avaient toutes lieu dans les maisons et les gens pleuraient beaucoup. Je me souviens des pleurs. Puis, le cercueil de Marie a été placé dans le salon. Je me rappelle que tout le monde pleurait et que je pleurais aussi, mais je ne savais pas exactement pourquoi j’étais si triste, vous comprenez? L’autre chose dont je me souviens, c’est l’odeur des roses (elle secoue la tête). Je déteste l’odeur des roses jusqu’à ce jour parce qu’il y en avait partout, vous savez, en raison de l’accident terrible qui avait fait de si nombreuses victimes dans la ville. Et la Woods Manufacturing Company, où Marie travaillait à Ottawa ou à Hull, je ne sais pas, avait envoyé beaucoup de fleurs. Toutes des roses. Aujourd’hui encore, je n’aime pas l’odeur des roses, car je les associe aux funérailles. »
Rita : « Oui, je peux comprendre. »
Pat : « Et je me souviens des larmes. Un matin, je suis descendu, parce qu’il y avait toujours des gens au salon. J’ai touché l’arrière de la tête de Marie, il n’y avait rien. Je me souviens d’avoir pensé : “c’est affreux, je me demande ce qui est arrivé à son cerveau”, tu sais? Mais, vous savez, avoir 11 ans à l’époque, ce n’était pas comme avoir 11 ans aujourd’hui. »
Rita : « Oui, vous n’aviez aucune compréhension de la mort. »
Pat : « Je ne comprenais pas –
Rita : – le processus. »
Gerard : « Je te laisse faire une pause si tu en as assez de parler, si tu veux. »
Rita : « J’allais justement vous demander de continuer, Gerard. »
Gérard : « Bien sûr. »
Rita : « D’habitude, vous n’avez pas les mêmes souvenirs. »
Gerard : « Mes souvenirs sont pratiquement les mêmes, sauf que j’avais 8 ans. J’avais eu 8 ans durant l’été. J’étais donc très jeune. Et, comme pour Pat, mes premiers souvenirs se rattachent à l’arrivée du prêtre. Dans mes souvenirs, son ton était un peu plus abrupt. »
Pat : « Assez abrupte. »
Gerard : « Ses premiers mots furent : “Marie est morte.” (Pat Green se met à rire) Quel tact! Le prête n’a même pas tenté d’amortir le choc de la nouvelle… Pour un jeune garçon, entendre cela était bouleversant. Puis, je me rappelle qu’on a sorti l’arbre de Noël de la maison. Cela m’a aussi impressionné (Pat Green acquiesce d’un signe de tête). Et ils ne se sont même pas arrêtés pour enlever les décorations. Cela m’a frappé, vous savez. Je me demandais pourquoi ils faisaient ça, vous savez? Nous n’avions aucune idée de ce qu’était la mort, pas en ce qui me concernait en tout cas. Il est vrai que la guerre faisait rage et que nous connaissions des gens qui étaient morts au combat. Nous entendions aussi des reportages faisant état des morts causées par la guerre. Mais l’immédiateté de la mort, c’était nouveau pour nous, et nous n’en comprenions pas vraiment le sens. »