Elle devait avoir une ténacité incroyable!
Durée : 5:16
Personne interrogée : Daniel Leek
Intervieweuse : Mary Louise McCarthy-Brandt
Lieu : Parc Rockwood, Saint John (N.-B.)
Gracieuseté du Musée de la région de Fredericton, 2020.
Daniel Leek parle de son arrière-arrière-grand-mère, Sabinah Grant, de Springhill, au Nouveau-Brunswick. Elle était l’esclave du lieutenant-colonel Isaac Allen.
Transcription
Assis devant le lac Lily au parc Rockwood, à Saint John, Daniel Leek est à gauche et Mary Louise McCarthy-Brandt, à droite.
[Mary Louise McCarthy-Brandt (MLMcC-B)] Son nom est Sabinah Grant, et quel rôle joue-t-elle dans votre… ADN, dans l’histoire de votre famille?
[Daniel Leek (DL)] Vous pourriez probablement voir ça comme étant à la fois une bonne et une mauvaise chose, non? Mais… Sabinah Grant a donné naissance à deux fils : Samuel McCarty et George Leek. Son… le père de ces deux fils serait, et je fais une blague avec ça, car quand vous, quand vous regardez l’histoire et que vous lisez à ce sujet, vous voyez que George est un fils illégitime du lieutenant[-colonel] Isaac Allen, qui a combattu dans la guerre d’indépendance [américaine] et… eh bien, disons que le côté, le côté britannique a perdu, et c’est drôle quand même… J’ai fait des recherches sur lui, et je vous reviens à son sujet dans une minute…
[DL] Quoi qu’il en soit, une fois la guerre terminée, Isaac Allen a quitté la Pennsylvanie et le New Jersey, où il possédait une maison et des terres, pour la Nouvelle-Écosse. Finalement, il ne s’est pas entendu avec certaines des autorités législatives ou autres en Nouvelle-Écosse, et il a formé avec d’autres ce qui était, ce qui est devenu le Nouveau-Brunswick. Il était responsable d’un certain nombre d’affaires, que je pourrais probablement aborder plus en détail sur le plan légal, mais je veux vraiment m’attarder à Sabinah.
[DL] Donc, Sabinah était l’une de ses esclaves. Il aurait engendré deux enfants, comme je l’ai mentionné, à Springhill, au Nouveau-Brunswick, je crois, Oui. Je sais qu’elle était une femme forte; je sais, je sais que beaucoup de personnes de cette lignée de Leek, y compris moi, ont un très fort… il faut que ce soit un gène fort, je suppose, pas vrai? C’était probablement nécessaire. Ils, ils ont traversé beaucoup de… d’atrocités et… de privations et tout ça, non? Donc, ça les construisait, ça les renforçait pour qu’ils deviennent de meilleures personnes. Et ils y ont survécu. Ils ont traversé beaucoup de choses, et ils ont tout enduré, je suppose, n’est-ce pas? Donc, rien que ça dans mon ADN, et tout le reste, n’est-ce pas, ça me construit, ça me façonne. C’est presque [comme] si l’esprit de Sabinah était toujours en nous aujourd’hui, vous savez.
[MLMcC-B] Donc, ça fait environ 250 ans peut-être, parce que… d’après nos recherches communes, nous avons découvert qu’elle est arrivée en 1783 en Nouvelle-Écosse, et à cette époque, bien sûr, comme vous l’avez dit, Isaac Allen était l’un des avocats qui ont créé… qui ont créé la Province du Nouveau-Brunswick, en juillet 1784.
[DL] Oui.
[MLMcC-B] Donc… Sabinah, je suis d’accord avec vous, elle devait avoir une telle, une telle ténacité. Mais la question ici est la suivante
: croyez-vous, ou avez-vous l’impression, que Sabinah et George ont été traités équitablement?
[DL] Équitablement? Je ne sais pas. Quand on, quand on pense à «
équitablement
» … et qu’on met ce mot dans le même contexte que propriétaire d’esclave et esclave, vous savez, c’est difficile de l’insérer là-dedans, pas vrai? Mais ils vivaient à une époque différente et tout ça, non? Donc… je pense que dans les États [américains], ils considéraient les esclaves comme étant les trois cinquièmes d’un humain. Ils étaient des propriétés, j’imagine, non? Donc, c’était la norme, probablement, pas vrai? D’autant plus qu’aujourd’hui c’est tellement fou d’y penser, non? Maintenant, n’est-ce pas…
[MLMcC-B] Oui.
[DL] Oui, c’est vraiment bizarre. J’entends même, vous savez, des Noirs dire
: «
Je ne supporterais pas ça, je vous le dis…
» Vous savez, vous le feriez. Vous seriez enchaîné, et vous savez, vous ne pourriez faire autrement. C’était une autre époque.
[MLMcC-B] D’accord.
[DL] Alors… d’après ce que j’ai lu aujourd’hui sur la relation entre Isaac Allen, qui était le propriétaire de mon arrière-arrière-grand-mère, je pense que c’était une bonne relation pour une raison quelconque. Bon, vu qu’elle était esclave, je suis sûr que tout n’était pas rose, d’accord, mais… Je, je compare cela en quelque sorte à une histoire que je… je me souviens d’avoir entendue à une émission d’Oprah, il y a des années, sur Thomas Jefferson, le président [des États-Unis]. Il… avait en fait eu une relation avec l’une de ses esclaves, je pense, non? Donc, elle a eu une sorte de, je suppose, je suppose que ça arrivait parfois : le propriétaire de l’esclave tombait amoureux de… l’esclave, ou avait… peut-être que ce n’étaient pas que des viols, vous savez, pas vrai? Alors j’ai l’impression que c’était l’une de ces bonnes relations, je suppose, non? Je ne sais pas s’ils étaient amoureux, d’accord, mais c’était la norme, quand on considère quelqu’un comme étant sa propriété, j’imagine, n’est-ce pas? Donc, je pense qu’il y avait de bons éléments à cela, je suppose, comme je pense qu’il y en avait aussi des mauvais, vous savez. Si on regarde tout cela du point de vue d’une autre époque, et qu’on se dit
: «
Comment peut-on voir du bon dans tout ça? C’était une esclave, non?
» Donc, je pense que c’était une femme forte. Je pense qu’elle avait, je pense qu’elle avait un bon statut dans tout cela, n’est-ce pas? Dans cet arbre généalogique. Et je dis ça aussi parce que j’ai fait un peu de, de recherche et tout ça, n’est-ce pas? Quand Isaac Allen, le propriétaire d’esclaves, le lieutenant[-colonel] qui a combattu dans la guerre d’indépendance américaine, [lorsque] il est mort quelque part au début des années 1800…
[DL] 1806… il a laissé un testament à sa fille, l’une de ses huit enfants, probablement, et dans ce testament, il s’est assuré qu’elle [Sabinah] avait, qu’elle obtenait une partie du testament. Tout comme… Samuel et, et George aussi. J’ai lu qu’ils ont eu deux livres chacun, et je ne sais pas comment ça… s’est transposé en…
[MLMcC-B] [Correction
: le testament de] sa fille, Anne Allen. Oui, c’était quelques [années plus tard] environ 30 ans plus tard [en] 1832. Il [Isaac Allen] est décédé en 1806.
[DL] Oui.