Deby Nash se souvient de ses parents
Durée : 6:40
Personne interviewée : Deby Nash
Intervieweuse : Mary Louise McCarthy-Brandt
Lieu : Fredericton (N.-B.)
Gracieuseté du musée de la Région de Fredericton, 2020.
Deby Nash parle de ses parents Dorrit et Hedley Nash de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.
Transcription :
Les deux femmes sont assises au bord de la rivière Saint-Jean, Deby Nash à gauche et Mary Louise à droite, un bouquet de fleurs posé sur la table entre elles.
[Mary Louise McCarthy-Brandt (MLMcC-B)] Qu’est-ce que votre père faisait comme travail? Je pense que vous avez dit qu’il était ouvrier ou…
[Deby Nash (DN)] Oui! Il travaillait manuellement. Il travaillait dans une entreprise autrefois célèbre dans le monde entier, et aujourd’hui disparue, à savoir la Chestnut Canoe Factory.
[MLMcC-B] D’accord…
[DN] Comme, comme ouvrier, je ne sais pas exactement comment dire cela [gros plan du visage de Deby, s’adressant à Mary Louise], il était ouvrier à la pièce. Donc, il n’était pas… gestionnaire. Il fabriquait des pièces pour… les bateaux.
[MLMcC-B] D’accord!
[DN] Oui, des bateaux de renommée mondiale!
[MLMcC-B] D’accord…
[La caméra se déplace sur Mary Louise, qui lit ses notes] Donc, votre père a grandi, je crois que vous avez dit, dans la région du lac Grand?
[DN] C’est ça, à Ripples.
[MLMcC-B] Pouvez-vous nous parler de l’enfance de votre père? Est-ce qu’il en a déjà parlé à ses filles?
[DN] [Gros plan du visage de Deby, s’adressant à Mary Louise] Non, il… le mieux que papa faisait, pour ce qui était de nous donner des leçons d’histoire, c’était de nous emmener les fins de semaine au lac Grand.
[MLMcC-B] D’accord.
[DN] À la maison de ses parents lorsque ceux-ci étaient encore vivants, et ce n’était pas une très grande maison, mais papa a grandi dans une famille de douze enfants, donc, il y avait toujours des tantes et des oncles et des cousins et des cousines aux alentours, et mes grands-parents du côté de mon père, et en ce qui le concernait, c’était l’histoire que j’avais besoin de connaître. C’était mon monde.
[MLMcC-B] D’accord.
[DN] Et donc, ça n’avait rien à voir avec l’école, ça avait à voir avec la cuisine, ça avait à voir avec qui était apparenté à qui, et à qui… à qui j’étais apparentée, et… c’est à peu près le plus loin que notre famille s’est rendue en matière d’histoire.
[MLMcC-B] Pour ce qui est de votre famille paternelle.
[DN] Oui. [La caméra revient à une vue de Deby (à gauche) et de Mary Louise (à droite) assises ensemble au bord de la rivière]
[MLMcC-B] Donc, la question suivante concerne encore votre père… et peut-être que vous n’avez pas… ses paroles comme telles, mais peut-être plutôt que vous avez trouvé l’information grâce à vos propres recherches… parlez-nous du service de votre père pendant la Seconde Guerre mondiale outre-mer.
[Gros plan du visage de Deby, parlant à Mary Louise]
[DN] Papa était soldat.
[MLMcC-B] D’accord.
[DN] Il… il s’est engagé assez tard, il avait presque 30 ans lorsqu’il a rejoint l’armée.
[MLMcC-B] Vraiment!
[DN] Oui.
[MLMcC-B] Wow!
[DN] C’était juste, je pense, aux environs de 1942… Papa voulait désespérément faire des études, il était ouvrier agricole dans le coin du lac Grand, il travaillait dans des fermes, et il avait entendu dire que quiconque s’engageait dans l’armée canadienne pouvait faire des études gratuitement ou apprendre gratuitement un métier. Et pouvait se construire une maison! Oui, se construire une maison! Donc, même s’il s’est engagé… sur le tard, et qu’il a probablement falsifié ses titres de compétences, ce que faisaient assez souvent beaucoup de militaires à l’époque… c’était suffisant pour pouvoir… s’entraîner à Gagetown, et pour être envoyé à Londres par la suite. Ce fut sa première et unique affectation à l’étranger.
[MLMcC-B] D’accord…
[DN] Et c’était juste après l’époque du Blitz.
[MLMcC-B] D’accord.
[DN] Et c’est là qu’il a rencontré ma mère!
[MLMcC-B] [La caméra passe à un gros plan de Mary Louise] Parlez-nous de la vie et des expériences de votre mère en tant que Juive en Autriche, si… si vous le pouvez, et ensuite en tant que… Je crois qu’elle faisait partie des enfants secourus par le Kindertransport avant de venir au Canada?
[DN] En effet.
[MLMcC-B] Donc, nous pouvons parler de… se souvenait-elle beaucoup de sa vie en Autriche? Et quel âge pouvait-elle avoir lorsqu’elle a quitté l’Autriche?
[DN] [Gros plan du visage de Deby, en train de parler à Mary Louise] Maman avait, je crois, presque douze ans, parce qu’il y avait une limite d’âge pour le nombre de… l’âge des enfants qui étaient autorisés à participer au Kindertransport.
[MLMcC-B] D’accord.
[DN] Donc, elle avait presque cet âge lorsque ma grand-mère l’a emmenée à Londres grâce au Kindertransport. Le souvenir le plus fort de ma mère par rapport à son enfance, de son point de vue, était d’être l’une des meilleures élèves de l’école qu’elle fréquentait… l’école primaire qu’elle fréquentait… et chaque jour était merveilleux, elle aimait les mathématiques, elle aimait les arts, son père était comptable, et elle se souvient d’être allée à l’école un jour, puis le lendemain de ne pas avoir été autorisée à aller à l’école. Et elle n’est jamais retournée à l’école pour le reste de sa vie, et ce fut l’un de ses plus grands regrets. C’est son souvenir de… de sa vie à Vienne, l’endroit où elle est née. C’est un souvenir tragique, mais c’est ainsi.
[La caméra fait un panoramique pour montrer une vue plus large de Deby assise au bord de la rivière] À Londres, ma mère a contribué à l’effort de guerre. Elle était ce qu’on appelait une « Rosie la riveteuse ». Elle travaillait sur des machines, sur des avions… fabriquant des écrous et des boulons qui servaient à assembler des machines. Elle avait aussi un emploi à temps partiel dans un… un mess d’officiers. Elle ne connaissait toujours pas très bien l’anglais, mais elle avait appris les mathématiques assez bien, en tout cas suffisamment pour utiliser la caisse enregistreuse. Il fallait être capable de manipuler l’argent et de rendre la monnaie. Et c’est là qu’elle a rencontré mon père un jour!
[MLMcC-B] Vraiment!
[DN] Au mess… au mess… des officiers. [La caméra revient à une vue de Deby (à gauche) et de Mary Louise (à droite) assises ensemble au bord de la rivière]
[MLMcC-B] Parlez-nous des circonstances entourant la rencontre de vos parents à Londres au Trocadero Club?
[DN] À la boîte de nuit appelée ClubTrocadero.
[MLMcC-B] Le Club Trocadero.
[DN] C’est ça, oui.
[MLMcC-B] Oh, charmant!
[DN] [Gros plan du visage de Deby, parlant à Mary Louise] C’était la seule boîte de nuit de Londres qui était mixte…
[MLMcC-B] D’accord…
[DN] Là, on pouvait y aller, peu importe sa couleur ou d’où on venait dans le monde, donc papa et tous les soldats noirs allaient dans cette boîte de nuit, où la danse et la musique étaient excellentes… et… tout comme plein de gens futés qui aimaient la bonne musique de danse. Et ma mère adorait danser. Elle était déjà allée dans cette boite, et avait rencontré quelques jolis hommes très intéressants, mais elle ne voulait pas sortir avec eux, parce que son anglais n’était pas bon, et que tous les hommes qu’elle fréquentait en Angleterre étaient anglophones. Et donc… Je m’en souviens très bien, car mes parents aimaient raconter cette histoire… Donc, maman travaillait à la caisse un jour, c’était un vendredi soir… Papa a dit à ma mère qu’il y avait un concours de danse au Trocadero et lui a demandé si elle voulait y aller avec lui. Papa pensait qu’il était beau et qu’il était sexy, et que c’était la raison pour laquelle elle avait dit oui. Mais ma mère a toujours dit que ce n’était pas la raison pour laquelle elle avait accepté. Elle mourait de faim, elle était très pauvre, elle travaillait comme femme de ménage, tout en étant une «
Rosie la riveteuse
», en plus d’être caissière à temps partiel. Elle essayait d’aider à subvenir aux besoins de sa mère, qui se faisait passer pour sa sœur et qui était également femme de ménage. Elles étaient réfugiées, évidemment. Papa était un soldat canadien, qui avait un lit pour dormir et qui avait de la nourriture tous les jours, il avait tout ça. Mais à ces concours de danse au Trocadero, les vendredis soir, le prix pour le meilleur couple de danseurs, le couple gagnant, c’était un poulet! Et ma mère voulait vraiment un poulet!
[MLMcC-B] Incroyable!
[DN] Donc elle a accepté ce rendez-vous avec mon père, et à leur premier rendez-vous, ils ont gagné le concours.
[MLMcC-B] Magnifique!
[DN] Et donc, inutile de vous dire que papa était un rendez-vous facile après ça. Il savait qu’il pouvait l’emmener tous les vendredis soir sans faute au Club Trocadero, et il l’a fait, et finalement, c’est devenu plus que de la danse, et ils se sont mariés quelques années plus tard!
[MLMcC-B] C’est une superbe histoire.
[DN] Oui, c’est une histoire amusante.