Liberté de pensée
«
Après l’obtention de mon diplôme, j’ai rapidement découvert les limites de la barrière de couleur. Bien que ma famille ait à son actif une histoire de cent ans de citoyenneté honorable, j’ai trouvé qu’il m’était tout à fait impossible de dénicher l’occasion rêvée d’effectuer le travail pour lequel j’avais été formée.
»
–
Mary Matilda McAlpine, Houlton (Maine), 1954
Mary Matilda Winslow
(1880-1963) est née à Woodstock (Nouveau-Brunswick) et a obtenu son diplôme de l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB) en 1905. Elle a été la première femme noire à fréquenter l’UNB, tout en étant première de sa classe et en remportant le prix Montgomery-Campbell de littérature classique.
Mary Matilda est issue d’un milieu très intéressant et diversifié. Son père, Alfred Fairfax Winslow
(1847-1917), était un descendant du gouverneur pèlerin de Plymouth, au Massachusetts, Edward Winslow
(1595-1665). Il était également le petit-fils du colonel Edward Winslow, un Loyaliste. Les parents d’Alfred Fairfax Winslow étaient Joseph Winslow (né en 1813) et Sarah Cornelison
(1814-1864), qui vivaient en 1851 dans la paroisse de Queensbury (comté de York).
La mère de Mary Matilda, Sarah Deboise (ou DuBois), descendait de Henry P. Dubois (né vers 1810). Selon le folklore familial, il s’agissait d’un pilote de navire ou d’un navigateur, qui a eu l’honneur de recevoir une récompense du roi d’Angleterre pour ses services sur le fleuve Saint-Laurent. La récompense était une île située quelque part au large de la côte de l’Amérique du Nord britannique. Après avoir reçu sa récompense, Henry Dubois a navigué jusqu’à Liverpool, en Angleterre, où il a rencontré et épousé sa femme Mary Ellen Delaney, née à Dublin et d’origine irlandaise et anglaise. Ils ont eu la mère de Mary Matilda, Sarah, en Angleterre, et sont ensuite retournés au Nouveau-Brunswick, où ils ont élevé six autres enfants.
La vie dans le Sud à l’ère de Jim Crow
Après avoir obtenu son diplôme de l’UNB, Mary Matilda ne parvenait pas à trouver un travail valorisant en tant que femme noire au Canada. Elle a donc décidé d’enseigner en Alabama. Elle a enseigné un peu de tout allant «
de la diction aux fractions
» au Central College.
La vie n’était pas facile dans le Sud à cette époque, et Mary Matilda se rendit vite compte que bon nombre de ses élèves arrivaient sans avoir reçu une instruction adéquate. Pour les aider, elle a donc commencé à enseigner et à donner des conférences dans les communautés éloignées de l’État. C’était un travail dangereux pour une personne noire; elle savait qu’elle devait être prudente afin de ne pas provoquer la colère du Ku Klux Klan. C’est à cette époque que Mary Matilda a rencontré son futur mari, Francis P. McAlpine, qui était éducateur, directeur d’école et fondateur d’un journal appelé le Birmingham Free Speech. Ce journal était consacré au développement moral, financier et éducatif des gens de couleur.
Les McAlpine ne souhaitaient pas élever leurs enfants dans un monde marqué par la ségrégation. Ils ont donc quitté l’Alabama en 1916 pour s’installer en Nouvelle-Angleterre, dans l’espoir de vivre dans une société libre et ouverte. Une fois installé au Connecticut, Francis McAlpine est devenu rédacteur en chef du Hartford Herald, l’un des premiers journaux «
consacrés aux intérêts des citoyens de couleur de la ville
».
Discrimination au Massachusetts
Ils se sont installés ensuite à Springfield, au Massachusetts, pensant que cette ville de la Nouvelle-Angleterre serait plus accueillante pour eux, mais ils ont découvert rapidement le contraire. Springfield n’était pas aussi progressiste qu’ils le pensaient. En tant que femme noire, Mary Matilda n’était pas autorisée à enseigner dans le système scolaire public, même si elle était diplômée avec la mention Summa Cum Laude de l’UNB et avait enseigné en Alabama. De même, son mari Francis, un journaliste très instruit et intelligent, ne pouvait obtenir qu’un emploi dans la fonction publique en tant que facteur. Ainsi, dans le but d’améliorer les possibilités et l’instruction des personnes d’origine africaine à Springfield, Mary Matilda s’est jointe à un comité multiethnique visant à ouvrir des portes aux Noirs. C’est ainsi qu’elle est devenue plus tard professeure au Springfield College.
La détermination de Mary Matilda Winslow à s’efforcer d’améliorer le sort des Noirs a été transmise à ses enfants et à leurs enfants, tout comme sa passion pour l’éducation, la littérature et la musique. Revenant sur sa vie après avoir quitté l’UNB, Mary Matilda parlait ainsi :
«
Je me rends compte que j’ai échoué avec les idées brillantes que j’avais à la remise des diplômes, soit ‘suivre la connaissance comme une étoile filante, au-delà des limites extrêmes de la pensée humaine’. Je me console cependant en me souvenant des centaines de jeunes que j’ai rencontrés pendant ces courtes années… J’aime à penser qu’à certains d’entre eux, j’ai donné une partie des deux cadeaux les plus précieux que l’UNB m’a offerts : la capacité de penser, et une connaissance claire de la liberté de pensée.
»
L’esprit pionnier de Mary Matilda Winslow et sa confiance en soi pour poursuivre sa route malgré l’adversité restent son plus grand héritage.