L’identité
Interview avec Lawrence Gervais et Joe Lougheed et Olivia Marie Golosky. Filmé à la maison Lougheed le 5 novembre 2018. Vidéographie de Jacquie Aquines, 2019.
Lawrence Gervais
[0:00 – 2:37]
Dans les recensements, ils les considéraient comme des Métis ou des Sang-Mêlé. Donc, quand ils faisaient les dénombrements, ils les comptaient comme des gens métissés ou de sang mêlé et les étiquetaient de la sorte. Pour les Métis, ils les étiquetaient en termes français, et ils ajoutaient l’origine, c’est-à-dire Métis français, Métis écossais, Métis anglais. C’est comme ça qu’ils les inscrivaient à la liste. Donc, dans le contexte des recensements, ils parlaient de Sang-Mêlé. L’emploi de l’expression Sang-Mêlé est devenu discriminatoire au moment des pensionnats indiens. Vers les années 60 et 70, c’est devenu quelque chose de très différent. Pour ce qui est de la façon dont le gouvernement nous considère, nous ne sommes jamais intervenus parce que nous sommes des personnes de type otipemisiwak (mot de langue crie décrivant les gens qui se gouvernent eux-mêmes), ce qui signifie que nous nous gouvernons nous-mêmes et que nous n’avons jamais laissé personne nous gouverner. Nous avons donc décidé de ne pas nous en mêler. Mais à un moment donné, c’est devenu discriminatoire quand ils ont commencé à empêcher les gens d’entrer dans les bars ou de se trouver un emploi. Les Métis ont commencé à se cacher. C’était devenu un terme de mépris et une insulte raciale. Puis en 1885, lors de la dernière rébellion, les familles ont commencé à se cacher et à essayer de passer inaperçues. Le raisonnement était que quand le gouvernement a pris le dessus, il y avait beaucoup de discrimination et il imposait ses politiques aux Premières Nations. Évidemment, les Métis ne voulaient pas être la cible de discrimination ou se voir imposer de telles politiques. C’est pour ça qu’ils ont choisi de ne pas s’identifier comme tels. C’était plus pour leur propre préservation qu’autre chose. Et c’était prédominant. Ça se passe encore de nos jours. Puis, au moment des dispersions, il y en a eu deux, en 1870 et en 1885, les familles ont soit regagné les réserves et se sont habituées au mode de vie des Premières Nations, soit continué de vivre à l’européenne. Mais se dire Métis, c’était une question de choix, à savoir s’ils voulaient s’identifier ou non. Pour elle, ça aurait été extrêmement difficile de s’identifier comme Métisse compte tenu du pouvoir et de la richesse de Sir James Lougheed. En tant que Lady Isabella Hardisty, ça aurait été dur pour elle de s’identifier comme Métisse quand des politiques visant à les assimiler avaient été décrétées.
Joe Lougheed
[2:38 – 2:50]
Et elle a vécu dans la culture de son temps. Elle était fière de son passé et ne le niait pas. Mais à cette époque, l’acceptation des cultures autochtones était différente.
Olivia Marie Golosky
[2:51 – 5:17]
Ce détachement envers la fracture que je ressens en tant que Métisse et ce que ça signifie, d’exister dans deux mondes, ça se traduit aussi en politique. Parce qu’au Canada, pour s’intégrer au système politique, il faut en fait adopter des concepts, des systèmes, des règles et une langue correspondant à un système qui n’est nécessairement conçu pour nous au départ. Par conséquent, il arrive souvent que des organisations ou des partis politiques desservent intrinsèquement un système qui ne nous veut pas particulièrement ou qui opprime activement nos communautés et les communautés de nos familles des Premières Nations. Je sais que dans mon cas, j’ai grandi avec une sorte de honte et parce que j’ai l’air tellement blanche, j’avais l’impression que je ne pouvais pas réclamer mon droit d’être Métisse, surtout parce que je n’ai pas grandi avec la langue crie, contrairement à mon grand-père. Je pense qu’il y a une certaine différence entre la façon dont je percevais la notion de Métis et la façon dont j’ai vraiment vécu ma vie et dont j’ai été élevée. C’est intéressant parce qu’avec des mouvements comme Jamais plus l’inaction et des initiatives comme celle de la vérité et de la réconciliation, nous assistons à une sorte de renaissance et à une énorme campagne de décolonisation à l’intérieur de lieux et de nous-mêmes, et à ce que cela veut dire. Ça change les choses, pour moi à tout le moins, car ça veut dire que je n’ai plus à avoir honte ou à avoir peur d’être Métisse. C’est important, pas seulement pour moi, mais aussi pour mon grand-père et ses frères et sœurs d’être capables de s’identifier et d’en parler, parce qu’ils ne pouvaient pas le faire avant. Ça arrive probablement plus souvent que je ne le pense. C’est juste parce qu’il y a eu beaucoup de racisme internalisé. Dans ce sens-là, le colonialisme a été très bien réussi. La violence latérale est réelle, et elle l’était probablement aussi dans le temps. Malheureusement, elle sévit encore dans nos communautés. Je pense que je ne lui reproche pas d’avoir fait ça et d’avoir caché son identité, ou de ne pas s’être identifiée verbalement. C’était probablement une question de survie.