Du bois à l’acier
Après la Deuxième Guerre mondiale, l’économie se porte bien et la Belle Province est en plein essor industriel. Les capitaines de goélettes de Charlevoix ont beaucoup de travail, mais doivent transporter des marchandises de plus en plus imposantes pour l’ouverture des régions éloignées : rails de chemin de fer, pieux en acier, carburant et lubrifiant, matériaux de construction, explosifs, machinerie. Pour garder leurs contrats, une solution s’impose : ils doivent acquérir des navires d’acier plus gros. Coûteux, ces bateaux plus solides demandent beaucoup d’investissements. Les capitaines et armateurs doivent y mettre toutes leurs économies et contracter des emprunts importants. Dans chaque branche de la famille Desgagnés, on prend le virage.
En 1956, encouragés par la compagnie Clarke qui domine alors le fleuve, les frères J.A.Z., Roland et Maurice font construire un premier bateau d’acier aux chantiers maritimes George T. Davie & Sons, sur la rive sud de Québec. Le coût total : 380 000$. Le caboteur d’acier a une capacité de 1000 tonnes, près du double du dernier bateau de bois construit par les trois frères. Ils le baptisent Mont St-Martin en l’honneur du dernier-né de la famille de Maurice.
Leurs cousins Denis et Roger, un peu plus jeunes, les suivent de près. Pour devenir capitaine, Roger a fait son temps de mer sur des bateaux d’acier et a pu constater leur potentiel. Propriétaires de Desgagnés Navigation Ltd, Roger et Denis acquièrent en 1959 un caboteur en acier construit en Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils le baptisent Champlain.
Pendant que Gérard remplace la goélette D’Auteuil II par un caboteur rebaptisé Fort Liberté, Jean-Paul remplace la G.Montcalm par un caboteur jumeau du Champlain, qu’il nomme le Fort Carillon. Leur cousin Edmond acquiert pour sa part le Ste-Marguerite en 1963, issu de la même série que le Champlain et le Fort Carillon.
Plus gros et plus résistants que les goélettes de bois, ces caboteurs d’acier ne peuvent affronter les glaces canadiennes. Chez les Desgagnés, on rêve de naviguer 12 mois par année.
En plus de ce besoin de naviguer à l’année, s’ajoute la concurrence féroce provoquée par l’industrie du camionnage. Puis, l’arrivée d’un traversier-rail qui relie Baie-Comeau à partir de Matane et une grève des débardeurs en 1966 provoquent la quasi-disparition des dernières voitures d’eau dans la première moitié des années soixante-dix. La mise à l’écart des goélettes de bois s’effectuera en un temps record.