L’enseignement autochtone, avant et après la colonisation
Interviewer: Amanda Foote pour le musée de la gare Beiseker
Cadreur et monteur : Jarret Twoyoungmen
2020
Beiseker Station Museum
Description : Cette brève vidéo porte sur l’enseignement reçu par les enfants autochtones dans les prairies du sud de l’Alberta. Cette vidéo fait partie d’une exposition sur l’enseignement dans une région qui s’appelle maintenant Beiseker. Cette localité est située dans la province de l’Alberta, au Canada. Le titre ne signifie pas que la colonisation est terminée, mais plutôt qu’elle a commencé à un moment particulier et qu’elle continue d’avoir des incidences sur l’enseignement des enfants autochtones (et de tous les autres enfants). Remarque : Cette vidéo comprend de l’information sur les pensionnats indiens. Ce contenu peut être difficile à regarder et engendrer de la souffrance. Il s’agit d’un chapitre très troublant de l’histoire de l’enseignement au Canada.
« Une ligne d’écoute téléphonique de Résolution des questions de pensionnats indiens offre du soutien aux anciens élèves des pensionnats indiens. Jour et nuit, vous pouvez accéder à des services de soutien affectif et d’aiguillage en situation de crise en composant le : 1‑866‑925‑4419. »
(Adrian Wolfleg est assis dans la Niitsitapiisini: Our Way of Life Galerie du Glenbow Museum devant un grand tipi)
Adrian Wolfleg: Bonjour, je m’appelle Adrian Wolfleg. Je suis de la nation des Siksikas.
Quand on travaille avec les enfants, on fait en sorte qu’ils nous aident. Ils voient ce qu’on fait et ils veulent mettre la main à la pâte, mais on leur dit qu’au début, ils doivent se contenter de regarder. On fait ça parce qu’on ne veut pas qu’ils se blessent ou qu’ils gâchent le projet sur lequel on travaille. Quand ils vieillissent, ils commencent à nous aider et on travaille alors avec eux.
À mesure qu’ils acquièrent de la maturité, de la finesse et certaines compétences, ils peuvent diriger le projet et on travaille alors avec eux. Plus tard, ce sont eux qui font l’activité et on prend du recul à ce moment-là. On écoute et on parle. On procède de cette manière dans tout ce qu’on fait. Ça nous permet de voir quelles aptitudes ont les différentes personnes et de déterminer ce qu’elles aiment faire. Et d’habitude, c’est ce qu’on fait parce qu’il y a des choses qu’on n’aime pas vraiment faire, mais on les fait quand même parce qu’il faut apprendre à les faire, et parce qu’il faut nous faire vivre et faire vivre notre famille. Des choses comme cueillir des petits fruits, chercher différentes plantes, différents remèdes, différentes nourritures et différents êtres vivants dans les environs, comme des pistes d’ours, de loups, de coyotes. Il faut savoir ce qui se trouve dans notre environnement. Il faut se protéger, et il faut protéger son groupe. Alors on commence à apprendre.
Même de nos jours, on peut faire ça. On peut aller dehors et observer les étoiles au-dessus de notre maison, pendant différentes saisons, apprendre à connaître les étoiles et où on est. Apprendre à connaître les plantes, à les lire, à les écouter, parce qu’elles poussent de manière naturelle et nous racontent des choses. Elles nous disent qu’il va faire soleil, elles nous disent quand il va pleuvoir, à quel endroit il y a du sable, parce que c’est ce qu’elles choisissent, et on doit apprendre d’elles. On travaille ensemble. On apprend à lire, et on enseigne. Ça ne se fait pas en fonction de périodes horaires et d’enseignements compartimentés.
Un de mes aînés nous racontait qu’il s’était assis dehors avec la grand-mère. La grand-mère lui a dit : « Regarde là-bas, là où les coyotes passent, et remarque que sur leur passage, les spermophiles se cachent. Quand les spermophiles ont peur, ils se cachent avec un ami. Quand le coyote s’en va, ils sortent de leur cachette. Et si tu regardes bien, tu vas voir qu’ils se sont cachés en quatre endroits. Combien de spermophiles? » Ce sont des mathématiques.
Je vivais sur la réserve et on m’emmenait à l’école du village en autobus. Mes parents connaissaient les parents d’élèves de mon école. Mes grands-parents connaissaient leurs grands-parents, donc ça allait bien. Je me sentais à l’aise parce que je me disais : « Oh ça, c’est Untel, et eux, ce sont mes oncles… c’est donc facile de nouer des liens parce qu’on est une personne, et non pas quelqu’un d’autre. Les personnes, elles travaillent ensemble et elles s’entraident.
C’était vraiment formidable pour moi de retourner à l’école où j’ai été diplômé pour y travailler. De passer du temps avec les enseignants en tant qu’amis, que collègues, que pairs. De voir un autre côté de ces personnes-là, de blaguer et de rire avec elles. C’était vraiment une expérience extraordinaire. Et plus tard, j’ai eu l’occasion de retourner sur la réserve pour y travailler dans le milieu de l’enseignement et en fait, de faire partie du comité s’occupant de la conception de la nouvelle école secondaire de la nation des Siksikas.
Mais j’aimais aussi travailler avec les élèves, avec le personnel, d’aller dans la salle du personnel et d’entendre ma langue maternelle. C’était merveilleux. Ça me donne un sentiment de fierté et de réconfort, de savoir que les prochaines générations apprennent… et que dans une autre situation, une personne aurait été obligée de manger du savon parce qu’elle avait osé parler sa langue maternelle.
Quand j’ai commencé à aller à l’école dans cette région, il n’y avait pas de pensionnat indien actif. Il y en avait d’autres où les gens pouvaient être envoyés, mais on avait été intégrés au système. Mes parents, mes tantes et mes oncles, quand ils étaient plus jeunes, ils sont allés dans les pensionnats indiens. Plus tard, ils ont été intégrés dans les écoles voisines de la réserve.
J’ai entendu leurs histoires et je sais que par moments, ils sont allés à la dérive, et je sais que des souvenirs remontent à la surface. Je sais qu’une personne a travaillé là pendant les années 1954 à 1959, et que cette personne a fait du mal à beaucoup de personnes. Plus tard, on a su que cette personne avait agressé sexuellement plus de 940 personnes différentes. Ce n’est pas le nombre d’agressions, mais plutôt le nombre de personnes qui l’ont dénoncé. C’est horrible.
Mais ça m’a aussi permis de comprendre pourquoi certaines personnes de la génération précédant la mienne étaient froides. Ou pourquoi certaines d’entre elles gardaient tout pour elles, ou pourquoi d’autres noyaient leurs pensées dans l’alcool ou en prenant d’autres moyens. Mais pour les personnes qui ont réussi à se guérir et à aller de l’avant, c’était merveilleux. Quand on regarde nos parents et nos aînés, on voit parfois l’ombre du passé qui les tracasse, qui les fait remonter ailleurs dans le temps.
(le logo du musée de la gare Beiseker apparaît)