1901 – Chez monsieur le premier ministre
En aval du pont municipal, la résidence princière de l’honorable John Jones Ross trône sur l’île Saint-Ignace. Né à Québec, il a grandi à Sainte-Anne-de-la-Pérade et s’y est établi définitivement après son apprentissage de la médecine. J’étais encore un jeune enfant quand il a été élu pour la première fois député de Champlain. Nommé sénateur après un court passage à la tête du gouvernement de la province de Québec, sa carrière politique a été interrompue par son décès.
Depuis les éboulis, l’île Saint-Ignace n’a plus la même apparence. Les masses de sable et d’argile transportées par la rivière ont partiellement rempli le chenal Saint-Ignace et formé de grandes battures à l’embouchure de la rivière Sainte-Anne et dans le fleuve Saint-Laurent. Au rythme actuel, l’île du Large sera bientôt accessible à pied et je doute que notre beau village conserve encore longtemps son titre de « Venise canadienne ».
La manufacture de « péteuses »
Assez parlé de cette catastrophe, je vous emmène voir la manufacture d’allumettes que j’ai achetée l’an dernier à Rose-Adélina Hamelin, la sœur de ma défunte épouse. Elle appartenait auparavant à son mari, Télesphore Laganière, décédé il y a deux ans. Les allumettes qu’on y fabrique s’enflamment grâce au soufre dont elles sont enduites. L’odeur que le soufre dégage en brûlant explique qu’on surnomme ces allumettes à friction des « péteuses ».
Je connais très bien cette industrie puisque je possède depuis environ vingt ans une manufacture d’allumettes à Saint-Alban. Ma nouvelle acquisition a toutefois l’avantage d’être située juste à côté du chemin de fer, ce qui facilite grandement le transport de la marchandise. Comme le village n’est pas encore électrifié, la machinerie est actionnée par une machine à vapeur. En général, j’y emploie une cinquantaine de travailleurs : des hommes, des femmes et des enfants.