Entretien avec Ken Teshima – 2020
Narrateur : En 2020, Ken Teshima a donné un entretien sur son expérience de déplacement à Beamsville en tant que Canadien japonais pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jasmine : Alors, d’où veniez-vous, vous et votre famille, avant d’arriver en Ontario?
Ken : D’où venions-nous? Eh bien, la ferme familiale se trouvait sur Main Island, qui est l’une des îles côtières et se trouve au sud de Galliano; le détroit entre les deux s’appelle Active Pass. C’est le détroit qui sépare l’île de Vancouver du continent. Et donc ils avaient une petite ferme là-bas avec des serres et tout.
Jasmine : Avez-vous des souvenirs de votre vie en Colombie-Britannique?
Ken : Je pense que mes premiers souvenirs sont… nous étions au Great Central Lake en Colombie-Britannique dans une ville forestière, et je me souviens d’avoir descendu en courant cette grande colline raide, très raide, pour retrouver mon père qui travaillait. Et des années plus tard, quand nous y sommes retournés, à la recherche de mes racines [rires], il n’y avait rien.
Jasmine : Donc, après que le Canada a déclaré la guerre, vous et votre famille avez été envoyés dans un camp d’internement à Hastings Park. Vous souvenez-vous de quelque chose concernant cette période?
Ken : Je me rappelle évidemment avoir vécu à Hastings Park. On nous a attribué une petite stalle pour les chevaux. Je me souviens m’être demandé un jour pourquoi ma mère n’arrêtait pas de dire « va manger » et qu’elle-même ne le faisait pas – je suppose que c’était à cause de la qualité de la nourriture.
Jasmine : Et que s’est-il passé après Hastings Park? Vous souvenez-vous si la famille est restée ensemble?
Ken : Mon père et mon oncle ont fini par quitter le Hastings Park et par partir à Scriber, en Ontario. Enfant, je ne savais pas pourquoi.
Jasmine : Et de quoi vous souvenez-vous concernant votre départ de Colombie-Britannique?
Ken : Ma fille m’a posé une question un jour et je me souviens d’avoir dit, vous savez, je me souviens d’être dans un train, traversant les Rocheuses, le train était plein de soldats et allait en Ontario. J’avais quatre ans à l’époque, et nous vivions dans une ferme dans le nord de l’Ontario, mais cela n’a pas fonctionné, et nous avons fini à Toronto, puis finalement à Beamsville.
Jasmine : Que vous ont dit vos parents sur ce qui se passait à l’époque?
Ken : Ce qui se passait, et cette partie de ma vie, mes parents n’en parlaient pas. Je n’ai commencé à m’intéresser à ce qui s’était passé que lorsque j’ai été plus âgé. Et après la mort de ma mère, nous étions en train de ranger des papiers et j’ai trouvé une lettre écrite par un commissaire qui donnait à cet homme l’autorisation d’embaucher mon oncle ou mon père pour travailler à la ferme parce qu’ils manquaient de bras à cause de la guerre. Je suppose que mon père et mon oncle ont dit : « Vous nous embauchez tous les deux ou nous ne venons pas. », alors la lettre dit qu’il les prendrait tous les deux. La maison qu’il mettra à disposition est assez grande pour deux familles, mais il ne paiera que pour une seule. C’est ainsi que nous sommes arrivés là-bas, et à un moment, j’ai dû demander à mon père pourquoi nous n’y sommes pas restés. Je me souviens qu’il a dit quelque chose comme : « eh bien cet homme nous traitait comme des esclaves ». Dans un livre de Ken Adachi intitulé « L’ennemi qui n’a jamais existé », il explique que les autorités craignaient que certains des jeunes hommes ne deviennent causeurs de troubles et qu’ils ne voulaient pas d’eux à Hastings Park. Alors, ils les ont envoyés travailler sur la route transcanadienne et c’est la raison pour laquelle ils se sont retrouvés à Scriber, je cite, des missionnaires de l’Église unie sont venus les voir et leur ont dit : « Vous savez, vous n’êtes pas des prisonniers de guerre, vous n’avez pas à rester ici ». Quoi qu’il en soit, nous nous sommes retrouvés à Toronto. À Toronto, en raison de la pénurie d’hommes, des commissions plaçaient les gens : mon oncle a obtenu un emploi de concierge à l’Université de Toronto et mon père s’est vu offrir un emploi à Beamsville, à l’usine de paniers et de placage. Le jour de notre arrivée, le Post Express mentionnait que mon père avait supervisé une scierie en Colombie-Britannique, ce qui n’était pas le cas, et disait également que la famille parlait anglais, ce qui n’était pas le cas [rires]. Et euh, il était mentionné qu’il y avait un enfant de quatre ans, c’était moi. Et au même moment, il y avait un article disant que le conseil municipal de Beamsville avait adopté une résolution pour nous mettre dehors. Et dans ce conseil municipal se trouvait l’un des gars qui avaient embauché mon père [rires] donc, quand j’ai lu ça, j’ai trouvé ça assez drôle parce qu’il est dans le conseil, et pourtant c’est lui qui nous a embauchés.
Jasmine : Où avez-vous fini par vous installer une fois que vous avez déménagé à Beamsville?
Ken : Nous nous sommes retrouvés sur Merrit Road, dans une maison dans une ferme et nous avons travaillé dans les champs pendant qu’ils construisaient une maison pour nous sur Hixon Street. Et Bill Reed avait une maison sur Mountain Street qui avait une grande cour, et donc à l’autre bout de la cour, ils ont construit une maison pour que mon père, ma mère et moi puissions y vivre. Et vraiment, personnellement, je pense que c’est la raison pour laquelle mon père n’est jamais, jamais parti. Je pense qu’il se sentait redevable parce que, lorsque Bill Reed a quitté l’usine, il a demandé à mon père s’il voulait aller avec lui, et euh, nous n’y sommes pas allés mais je pense que mon père a ressenti une obligation de par la façon dont il a été traité.
Jasmine : Ken et sa famille se sont installés définitivement à Lincoln, c’est l’une des rares familles canadiennes japonaises dans ce cas. Ken était très sportif et a fait partie de nombreuses équipes sportives locales quand il était jeune. Il est ensuite devenu enseignant et a fait toute sa carrière au conseil d’éducation du comté de Lincoln.