La Division féminine, un atout essentiel
Servir pour que les hommes puissent voler
Avant 1939, les femmes n’étaient pas en mesure de s’enrôler dans les Forces canadiennes. Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes avaient joué, de façon officieuse, un rôle de soutien, le plus souvent sur le front intérieur. À cette époque, leurs seules fonctions officielles dans l’armée se limitaient à des postes d’infirmière et de préposée administrative dans les hôpitaux, tant sur le théâtre des opérations en Europe qu’à l’arrière, en sécurité au Royaume-Uni.
La Seconde Guerre mondiale bouleversa le statu quo. Il fallait un tel nombre de soldats, de marins et d’aviateurs pour repousser l’ennemi, que toutes les recrues masculines aptes à servir devaient rejoindre un poste de combat à l’étranger, que ce soit dans les airs, sur la mer ou sur la terre ferme.
Au milieu de l’année 1939, la RAF anglaise créa la Women’s Auxiliary Air Force (WAAF), qui permit d’affecter des hommes chargés de services auxiliaires à des postes davantage liés au combat. Le Canada lui emboîta le pas.
La création de la Division féminine
En juin 1941, l’ARC mit sur pied le Corps auxiliaire féminin de l’Aviation canadienne.
C’est avec le plus grand soin que l’on procéda au choix du premier groupe d’officières et de sous-officières, qui devait constituer l’épine dorsale de la Division féminine. La sélection de 150 candidates parmi les milliers de femmes ayant postulé des quatre coins du Canada se révéla donc une tâche délicate.
Un comité de supervision composé de membres de l’ARC et d’officiers anglais de la WAAF fit le voyage de Halifax à Vancouver afin d’interviewer la première promotion de femmes membres de la Force aérienne.
Les nouvelles recrues devaient avoir déjà travaillé avec d’autres personnes, dans une entreprise ou dans le cadre de travaux de bénévolat, et posséder une disposition naturelle pour la gestion des ressources humaines. On les évaluait en fonction de leur sens des responsabilités, de leur leadership, de leur intelligence et de leur stature morale.
Des 150 femmes choisies, un premier groupe se composait d’avocates, de médecins, de diététistes, de bibliothécaires, d’administratrices d’entreprise et d’autres professionnelles. De ce groupe, 7 % possédaient un diplôme universitaire, et 70 %, un diplôme d’études secondaires.
Après une formation intensive de cinq semaines au Old Havergal College de Toronto, les nouvelles officières s’employèrent à démontrer qu’elles étaient plus que capables de s’acquitter de toutes les tâches que leur attribuerait l’ARC.
Un grand nombre de ces femmes demeurèrent au centre d’entraînement de Toronto afin de former les nouvelles recrues. D’autres furent affectées au quartier général de l’Aviation, à Ottawa, ainsi que dans des centres de commandement opérationnel, des écoles de pilotage militaire et des écoles de bombardement et de tir partout au pays.
Le succès initial du Corps auxiliaire lui valut d’être rebaptisé « Division féminine de l’ARC » en février 1942. Ses membres, couramment surnommées les « WD » (abréviation de l’anglais Women Division, prononcé « double-you-dees »), étaient très respectées de leurs homologues masculins.
La Division féminine arrive à Claresholm
Claresholm comptait parmi les premières bases aériennes à accueillir des femmes en uniforme au sein de leur centre d’entraînement. Le premier groupe de la Division féminine arriva ainsi à la gare de Claresholm le 23 février 1942.
Si l’on en croit un article plutôt léger paru en mars 1945 dans le dernier numéro du Windy Winds, les femmes furent accueillies par « … des regards scrutateurs jetés depuis des fenêtres, depuis des portes entrebâillées et par-delà le couvert de lampadaires par la gent masculine de la base, ainsi qu’un désaccord manifeste du météorologue, qui prévit une vague de froid le jour de leur arrivée; et aussi étrange que cela puisse paraître, tous les hommes d’affaires de Claresholm avaient du courrier à mettre dans le train ce matin-là. »
À leur arrivée, les membres de la Division féminine furent prises en charge par l’Officière de section adjointe Elizabeth Bie et la Sergente Margaret Sanderson, qui avaient rejoint la base aérienne une semaine auparavant pour préparer l’arrivée du reste du groupe.
De nombreuses Albertaines faisaient partie des 62 nouvelles arrivées. Un second détachement de 16 femmes arriva le lendemain, portant le nombre de recrues féminines sur la base à 78.
Dans l’ensemble, les membres de la Division féminine étaient chargées de l’administration et du fonctionnement de l’école. Elles s’en tinrent au départ à des fonctions de comptable, de secrétaire, de dispensatrice, d’assistante à la gestion du matériel, d’opératrice téléphonique, de commis au courrier, de chauffeuse, de cuisinière et de couturière, ainsi qu’à d’autres tâches d’ordre général.
Elles jouaient également le rôle d’infirmière, de pharmacienne, d’aide-hospitalière, d’assistante de laboratoire, de commis aux dossiers médicaux, de sténographe médicale et d’assistante dentaire.
Au fil du temps, la Division féminine assuma un nombre grandissant de fonctions habituellement réservées aux hommes, permettant à ces derniers de vaquer à d’autres travaux. Les femmes occupèrent donc d’autres postes, notamment ceux de photographe, de radiographe, de fabricante d’instruments, d’interprète de photos et de données de surveillance, de chronométreuse, de météorologue, d’agente de police et même de contrôleuse aérienne!
On les chargea même de la tâche la plus importante de l’ARC : l’arrimage des parachutes, un travail – cela va sans dire – à réaliser correctement dès la première fois!
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les membres de la Division féminine exerçaient toutes les fonctions imaginables, au Canada comme à l’étranger, à l’exception d’une participation active aux combats. Ces fonctions pouvaient comprendre celles de mécanicienne, de membre du personnel de piste, d’administratrice de la base et de radiotélégraphiste.
Certaines membres de la RAF et de l’ARC postées en Grande-Bretagne avaient même pour mission de piloter des avions pour les déplacer d’un site à l’autre!
En janvier 1944, plus de 200 femmes en uniforme résidaient sur la base aérienne de Clareholm. À son apogée, la Division féminine de l’ARC comptait plus de 17 000 membres, qui servaient dans des bases situées partout au pays et outre-mer.
Trente femmes perdirent la vie au service de l’ARC pendant la Seconde Guerre mondiale. L’un de ces décès survint à Claresholm (voir ci-après.)
La Division féminine de l’ARC fut dissoute le 11 décembre 1946. Les femmes furent cependant de nouveau acceptées au sein de l’ARC en 1951, afin d’aider le Canada à remplir ses engagements vis-à-vis de l’ONU lors de la guerre de Corée, entre 1951 et 1958.
Les femmes furent finalement autorisées à devenir pilotes de l’ARC à part entière en 1980. Le Canada fut le premier pays au monde à accorder à des femmes des brevets de pilote de chasse en 1988, près de 50 ans après la création de la Women’s Auxiliary Air Force.
Le décès prématuré de l’Adjudante-officière de section Rose Jette Goodman
Originaire de Halifax, en Nouvelle-Écosse, Rose Goodman était une jeune femme pleine d’avenir. Au moment de la formation du Corps auxiliaire féminin de l’Aviation canadienne, elle venait d’obtenir un baccalauréat ès arts de l’Université Dalhousie.
Rose Goodman s’enrôla dans l’armée en octobre 1941, et elle devint l’une des 150 femmes à sortir diplômées de la formation initiale en administration. Elle partit ensuite former d’autres recrues à Moncton, au Nouveau-Brunswick, avant d’être affectée à l’EPM no 15 le 27 juillet 1942. Elle reçut à Claresholm le grade d’adjudante-officière de section, qui lui permettait d’aider le commandant sur place à administrer la base aérienne.
Jeune femme intelligente au caractère jovial et enthousiaste, Rose Goodman était très appréciée du personnel de la base, tant masculin que féminin.
Malheureusement, après seulement six mois sur la base, sa carrière dans l’ARC fut brutalement interrompue.
Par un après-midi froid, le 26 janvier 1943, Rose Goodman célébrait le mariage de deux amis et collègues à l’EPM no 15. La cérémonie terminée, Rose accompagna le Sous-lieutenant d’aviation P.D. Meyers lors d’un vol impromptu à Lethbridge, afin de s’assurer que les jeunes mariés arriveraient à temps pour embarquer dans l’avion qui les emmènerait à Vancouver, lieu de leur voyage de noces.
Lors de son retour à Claresholm, le même soir, le Cessna Crane qui transportait les deux passagers s’écrasa dans un champ, non loin de la piste d’atterrissage de secours située à Woodhouse, à seulement huit milles au sud-est de la base. Le Sous-lieutenant Meyers subit de légères blessures dans l’écrasement.
Rose Goodman, cependant, fut tuée sur le coup. On célébra en son honneur un service funèbre le 29 janvier à l’EPM no 15, avant que sa dépouille ne soit transportée à Montréal afin d’y être enterrée.
Elle fut inhumée avec tous les honneurs militaires au cimetière de la synagogue hispano-portugaise Shearith Israël à Montréal, au Québec.
L’Adjudante-officière de section Goodman fut la première des 30 membres de la Division féminine à trouver la mort au cours de leur service actif dans l’ARC; elle fut également la seule juive de ce service à subir ce revers du sort.
Son décès fut mentionné dans la rubrique réservée à la Division féminine du dernier numéro du Windy Wings, en mars 1945 :
Un incident tragique marquera nos mémoires, cependant, celui de la mort accidentelle de l’Adjudante-officière de section Goodman, appréciée de tous. Par la présente, nous rendons hommage à une femme vaillante qui réalisait un excellent travail et qui a donné sa vie en l’accomplissant.