10. L’école des arts et métiers : un moyen d’atténuer les maux de la ville industrielle (1937-1961)
Si l’industrialisation de Magog a permis à celle-ci de croître et de se moderniser, les maux de la ville industrielle inquiétaient une partie de sa population. C’est le cas, par exemple, de l’élite canadienne-française durant les années 1930, qui se préoccupait de l’avenir de la jeunesse lors d’une période marquée par la crise économique, le chômage et la présence de nouveaux divertissements urbains tels le cinéma. Leurs préoccupations eurent ainsi un impact sur le système d’éducation magogois, entraînant notamment la fondation de la première école des arts et métiers en 1939.
L’école de métiers: un moyen de préserver la jeunesse des vices urbains
D’une part, Magog étant une ville industrielle, il était très commun pour les enfants et les adolescents d’intégrer le marché du travail. Dans bien des cas, ceux-ci avaient une jobine chez un commerçant ou trouvaient un emploi à la Dominion Textile [1]. La grande dépression provoquée par le krach boursier de 1929 fit toutefois augmenter le chômage. Certains jeunes semblent donc s’être retrouvés simultanément en dehors du système scolaire et du marché du travail. Une situation qui inquiéta plusieurs membres de l’élite canadienne-française.
Ainsi, Édouard Roy, rédacteur en chef de La Chronique de Magog en 1937-1938, écrivit plusieurs articles prônant l’établissement d’une école de métiers à Magog. L’idée était d’éviter l’oisiveté de la jeunesse qui devenait, selon lui, bien plus prompte à la délinquance et sujette à la mauvaise influence des divertissements :
« [l]’imagination des jeunes [écrivait-il] ne peut demeurer inactive. Si elle n’est pas meublée avec des idées saines, si elle n’est pas fixée sur un travail, un métier, elle saisira facilement tout ce qui s’offre à elle dans les magazines ou au cinéma qui nous sert […] des films plus ou moins moraux [2]. »
Évidemment, il est difficile de mesurer l’ampleur de ce phénomène, et de savoir s’il était plutôt imaginé que réel. Néanmoins, force est de constater que ce genre de discours participa probablement à la légitimation d’un projet d’école de métiers.
L’école de métiers: un moyen de mieux intégrer les garçons au marché du travail
Le rôle de l’école de métiers était également d’offrir une formation technique aussi bien aux adolescents qu’aux adultes intéressés. Cela leur permettrait une meilleure insertion au marché du travail. Ce besoin préoccupait particulièrement le Dr Albert Isidore Guertin, principal architecte du projet, qui considérait que l’école ne préparait pas les garçons à faire face à leur vie adulte, comme le souligne ce journaliste de la Chronique de Magog:
«Dans son plaidoyer en faveur d’une telle institution, le promoteur du projet, le Dr Guertin, a dit aux membres réunis du conseil que les jeunes filles sortent du couvent très bien outillées pour devenir des femmes, tandis que les jeunes garçons ne le sont pas [3]. »
D’ailleurs, soulignons le caractère masculin de cette école, qui apparaît dans les propos du Dr Guertin, mais aussi dans sa localisation (à l’Académie St-Patrice, une école de garçons) et par les métiers enseignés (comme la menuiserie et l’ébénisterie). Ainsi, au-delà de la jeunesse, c’était les garçons qui étaient ciblés par ce projet.
Enfin, ces raisons expliquent l’ouverture de l’école des arts et métiers en 1939. Installée au sous-sol de l’Académie St-Patrice, celle-ci demeura active de 1939 à 1961, date à laquelle elle fut fermée pour permettre la construction du pavillon des loisirs.
Quelques projets réalisés à l’école des métiers
Les sources les plus anciennes mentionnant ce que faisaient les élèves à l’école des métiers datent du 12 et du 19 juin 1941. Dans deux articles de La Chronique de Magog, un journaliste décrit en détail la première exposition des travaux des étudiants:
« On y a admiré, notamment, des pupitres fort bien faits ainsi qu’un métier à piquer les couvrepieds que les élèves ont réalisés pour le cercle des fermières de Magog. Tables de salon délicatement tournées, petites pharmacies faites avec un beau soin, voire un traîneau d’enfant assemblé avec succès [4]. »
Il est possible d’observer ce genre de projet sur des photographies produites en juin 1947 à la demande de Jean Chalifoux, premier professeur de l’école des métiers.
Un cours à l’école des métiers de la rue Percy
[1] Serge Gaudreau, Au fil du temps: histoire de l’industrie textile à Magog (1883-1993), Sherbrooke, Les Productions G.G.C. Ltée, 1995, p. 69.
[2] Édouard Roy, (1937, 22 octobre), Il faut un métier aux jeunes, La Chronique de Magog, p. 4.
[3] Auteur inconnu, (1937, 10 septembre), Le Dr Guertin demande une école de métiers, La Chronique de Magog, p. 1.
[4] Auteur inconnu (1941, 19 juin) À l’école des arts et métiers, La Chronique de Magog, p. 1. Voire aussi Auteur inconnue (1941, 12 juin), Visite de l’exposition de l’artisanat, à Montréal, La Chronique de Magog, p. 16. Nous remercions Maurice Langlois de nous avoir indiqué l’existence de ces articles.