11. La violence éducative dans la région de Magog
Si le parcours scolaire des enfants pouvait représenter une expérience enrichissante, il pouvait aussi être très éprouvant. C’est ce dont nous informent plusieurs sources du 19e et du 20e siècle, qui font mention de la sévérité et de la violence de la discipline dans les écoles de Magog et sa région.
Au 19e siècle
C’est le cas, par exemple, d’un journal intime de 1857 ayant appartenu à un instituteur de Magog. Ce dernier y fait mention de la sévérité de la discipline. À propos d’un cours d’écriture donné le 7 janvier 1857, l’instituteur écrit: « punis un de mes petits disciples assez fort. On dit que sa mère à lui est fâchée. Nous verrons [1]. » La punition devait être effectivement assez dure, car le conseil de l’école se réunit deux semaines plus tard afin de se pencher sur ce dossier. C’est ce que mentionne l’entrée du 20 janvier 1857 : « the school Coun[cil] met at the school house to examine the case of Symon C’s punishment [2]. » Cette source n’en dit malheureusement pas davantage. S’il est impossible de connaitre la nature de la punition infligée au petit Symon, rappelons toutefois que dans l’éducation des enfants, à l’école comme dans la famille, on fait alors usage de la violence, comme le souligne l’historienne Marie-Aimée Cliche :
« [l]es lois de l’époque prennent en considération la violence qui s’exerce contre les enfants. Le Traité sur les lois civiles du Bas-Canada de 1832 stipule que « les pères et mères ont sur leurs enfants le droit d’une correction modérée. » Cette clause est reprise dans le Code civil du Bas-Canada : tant qu’un enfant est mineur, « le père, ou la mère à son défaut, a sur lui un droit de correction modérée qui peut se déléguer à ceux chargés de son éducation [3]. »
Au 20e siècle
M. Maurice Langlois sur la discipline à l’Académie Saint-Patrice (Magog)
Les sources plus récentes entrent beaucoup plus dans les détails en ce qui a trait à la violence, et plus particulièrement aux punitions corporelles. C’est le cas, par exemple, du témoignage de Maurice Langlois, ancien élève de l’Académie (collège) Saint-Patrice dans les années 1930 et 1940. Ce dernier explique que le directeur de l’école, un frère du Sacré-Cœur, utilisait une courroie ou une «strap» pour frapper les mains des élèves indisciplinés. La présence de la «strap» dans les écoles magogoises fut d’ailleurs confirmée par plusieurs témoignages, comme celui-ci, cité par Serge Gaudreau : « [l]e frère supérieur, le frère directeur là, il avait une grosse strap [4]. » Un autre, en faisant référence à son passage au collège Sainte-Marguerite, mentionne également la présence de la strap: « pi il [le frère directeur] me montrait sa grande strap. Y’avait une grande strap dans le temps pi il me montrait ça […] il nous menaçait que si on n’écoutait pas on était pour y goûter à la strap [5]. »
Les punitions corporelles n’étaient pas utilisées seulement sur les garçons. Une ancienne élève du couvent d’Omerville se souvient aussi que les élèves ayant plus de dix fautes à la dictée se méritaient dix coups de règle sur les doigts, et ce, en pleine classe et aux yeux de ses camarades de classe.
Mme Françoise Dezainde sur la punition corporelle au couvent d’Omerville
Face à cette violence, notons que les élèves ne restaient pas inactifs, utilisant plusieurs stratégies pour se défendre. Au collège St-Patrice, les étudiants faisaient circuler un bâton d’arcanson. Ainsi, l’élève envoyé chez le frère-directeur se cirait les mains d’arcanson afin d’amortir les coups de courroie. D’ailleurs, toujours selon Maurice Langlois, les étudiants particulièrement rebelles n’avaient pas à chercher l’arcanson bien longtemps, car ils savaient généralement qui le détenait. Au couvent d’Omerville, afin de défendre une camarade de classe, une élève demanda à la sœur-institutrice de prendre les coups de règle à sa place. Un autre, dans une école de rang, désarma l’institutrice, brisa sa règle et la jeta par la fenêtre afin de défendre sa petite sœur.
M. Raymond Lavallée sur la punition corporelle dans une école de rang (Ste-Catherine d’Hatley)
Ce faisant, si la punition corporelle représentait un outil pédagogique commun dans les écoles de Magog, les élèves n’étaient pas seulement des victimes inactives, faisant preuve de résistance face à cette violence.
L’excommunication: un outil de contrôle de la fréquentation scolaire
La rencontre entre la violence et l’éducation ne se manifestait pas seulement sur le corps des élèves. En fait, dans au moins un cas, soit celui de la famille Hooper, elle se répercuta sur leur vie spirituelle.
C’est ce qu’explique Norman Hooper, ancien élève de l’Académie Saint-Patrice. Son père Chester S. Hooper, un catholique d’origine américaine, voulait que ses enfants apprennent l’anglais. C’est pour cette raison qu’il inscrivit sa fille au programme anglais du Couvent Sacré-Cœur. Toutefois, un programme similaire n’existait pas dans les écoles de garçons de la commission scolaire catholique.
Il voulut donc envoyer Norman au Magog High School. Il fut toutefois contraint d’abandonner ce projet, le curé de la paroisse St-Patrice menaçant d’excommunier sa famille s’il envoyait son garçon dans une école protestante. Une menace particulièrement intense, car elle représentait l’exclusion des Hooper de la communauté et des sacrements catholiques. Dans ce contexte, les parents de Norman Hooper l’envoyèrent donc à l’Académie Saint-Patrice, où il débuta ses études en 1935 et où il compléta les onze années d’enseignement.
Cet exemple permet de comprendre à quel point l’éducation et la religion étaient liées l’une à l’autre avant la Révolution tranquille, et quel genre de contraintes cette interaction pouvait imposer aux familles.
M. Norman Hooper sur le choix de son école et l’influence du curé
[1] Société d’histoire de Magog, fonds famille Merry. La citation vient d’une traduction de l’espagnol au français par Louis-Charles Cloutier Blain. La citation originale est la suivante : « Castig[ué] uno de mis discipulitos bastante fuerte – se dicen que su madre de el esta enojad[a] – veremos ». Il semble que l’instituteur maîtrisait l’espagnol (non sans difficultés), son journal étant écrit aussi bien dans cette langue qu’en anglais.
[2] Ibid
[3] Marie-Aimée Cliche, Maltraiter ou punir? La violence envers les enfants dans les familles québécoises 1850-1969. Montréal, Les Éditions Boréal, 2007, p. 16.
[4] Serge Gaudreau, Pas de quoi faire une crise? La vie à Magog dans les années 1930, Magog, Société d’Histoire de Magog, 2011, p. 85.
[5] Société d’histoire de Magog (2018, 11 juillet), Entrevue avec Françoise Dezainde et Raymond Lavallée, Deauville.