Robert Charlebois
Photo de Ronald Labelle
En entrevue pour l’exposition de 2021, Robert Charlebois raconte en parlant de Gilles Mathieu et de la Butte :
« Il a contribué à faire de moi l’artiste que je suis devenu parce qu’il m’a donné ma toute première chance. C’est quelque chose qu’on n’oublie pas. J’étais le pianiste de Jean-Guy Moreau. On avait fait un pieux mensonge. Dans une boîte à chansons de Sherbrooke ou de Trois-Rivières, le propriétaire nous avait demandé : « avez-vous de l’expérience ? ». On a répondu : « oui, la Butte à Mathieu. Oui, oui, c’est certain qu’on connaît ça ». Parce qu’on était allé à la Butte, mais en touristes, en spectateurs. Alors, il nous engage : « si vous êtes bons pour la Butte à Mathieu, vous êtes bons pour ici ». En sortant de là, on se dit : « faut tout de suite qu’on aille voir Gilles Mathieu. Au moins, faire une audition parce qu’ils se parlent ces gens-là, c’est un réseau ».
On prend nos scooters Lambretta, et on arrive à la Butte. Moi, je suis le pianiste de Jean-Guy qui commence à faire des imitations. Il fait Raymond Lévesque, Claude Léveillée, Brassens… Mathieu est écroulé de rire, moi je suis au piano. Mathieu me demande : « toi, en fais-tu des chansons ? ». J’avais La Boulée, Les Canadiens, ils ont ça de bon, Les petites filles et Ni chanson, ni poème qui était un rap 1963. Mathieu me dit : « tu as quatre bonnes chansons, je te donne 8 minutes avant Félix. Tu vas faire sa première partie. » Les jambes me tremblaient. J’avais le trac. Je me disais : « c’est la première fois de ma vie que je vais chanter devant du monde. J’ai mal à la gorge. J’ai le rhume. Qu’est-ce qui arrive si je m’étouffe pendant que je chante ?»
Là, je vois Félix qui arrive, secoue ses pieds, tempête de neige, secoue son chapeau. Il attendait. « Y’a-tu ben du monde ?» . Mathieu lui répond : « Félix, c’est plein. On sait pu où mettre le monde.» Je le voyais manger son chapeau et donner des coups de pied dans le mur. Je me disais : « il est nerveux, comment ça se fait ? Moi, si je me trompe, je me trompe, mais lui s’il se trompe, les gens connaissent toutes ses chansons, ils vont chanter à sa place.»
Avec le temps, on comprend qu’à chaque fois qu’on monte sur scène, on met la barre un peu plus haut. »