Marconi à Terre-Neuve
Marconi arrive à St. John’s à bord du SS Sardinian à la fin de l’année 1901. La première zone de la ville qu’il aperçoit est Signal Hill : un grand affleurement rocheux qui s’élève à 150 mètres au-dessus du port. Immédiatement impressionné par le site, il doit maintenant trouver le meilleur endroit pour mener son expérience.
Le monopole de l’AATC
Cela est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Comme mentionné précédemment, l’Anglo-American Telegraph Company (AATC) détenait un monopole de 50 ans sur la télégraphie à Terre-Neuve. Cela signifie que jusqu’en 1904, seule l’AATC était autorisée à utiliser toute forme de télégraphie sur l’île. Quiconque enfreignait cette règle pouvait être poursuivie en justice ou se voir infliger une lourde amende.
Lorsqu’il débarque à St. John’s, Marconi est parfaitement au courant de cet accord. Au lieu de travailler avec l’AATC, il choisit de mentir sur les raisons de sa présence à Terre-Neuve. À ceux qui le lui demandent, il répond qu’il est là pour mener des expériences sur les navires de la région.
Le choix du lieu
Marconi rencontre Sir Cavendish Boyle et Sir Robert Bond (respectivement gouverneur et premier de Terre-Neuve) dans l’espoir d’obtenir leur soutien. Les deux hommes acceptent de l’aider et lui offrent tout espace dans lequel Marconi souhaite travailler. Marconi et ses assistants se rendent à Signal Hill à la recherche d’un emplacement. La tour Cabot était un candidat de choix : elle venait d’être construite pour célébrer le 400e anniversaire de l’arrivée de l’explorateur Jean Cabot à Terre-Neuve.
Cependant, de nombreux touristes visitaient cette tour. Il serait alors difficile de dissimuler la véritable raison de la présence de Marconi, qui décida donc de ne pas la choisir. Non loin de là, sur Signal Hill, se trouvait par contre un hôpital abandonné, qui avait servi à isoler des patients contagieux. L’endroit était calme, isolé et vide. C’était parfait.
Comme l’installation de 20 poteaux géants attirerait l’attention sur son travail, Marconi a dû trouver une nouvelle façon de créer une antenne. Il avait emporté son équipement radio et son fil d’antenne, mais au lieu de mâts, il avait emporté six cerfs-volants de 2,7 mètres de long, deux ballons de 2 mètres de large et vingt-cinq réservoirs remplis d’hydrogène pour soulever les ballons. Les vents violents auraient pu ruiner ses plans initiaux, mais cette fois-ci, Marconi a prévu de les utiliser à son avantage.
Son équipe commença à tester les cerfs-volants et les ballons pour s’assurer qu’ils seraient suffisamment solides et fiables pour remplir leur fonction, mais ce n’était pas une tâche facile. Lors de l’un de ces essais, le vent arracha le ballon et le projeta dans l’océan, où le ballon se perdit à jamais. L’équipe réussit finalement à utiliser un cerf-volant, une fois qu’elle eut trouvé le moyen d’en faire monter un à plus de 120 mètres dans les airs. Maintenant que leur équipement avait été mis en place et que leur solution d’antenne avait été trouvée, ils étaient prêts.
Réussite
Le matin du 12 décembre 1901, Marconi et son équipe se préparent à lancer leur cerf-volant. Ils le font monter à la hauteur voulue, mais une forte rafale de vent rompt sa corde. Le cerf-volant disparaît dans l’océan Atlantique. Sans se décourager, ils assemblent un second cerf-volant et parviennent à le faire monter au maximum et à le maintenir à cette hauteur. Marconi met en marche l’appareil de réception et commence à écouter.
Pendant ce temps à Poldhu, en Angleterre, les assistants de Marconi suivent leurs instructions. À des moments précis, ils doivent transmettre la lettre S en code Morse. Marconi pensait que cette lettre (trois points consécutifs) serait la plus facile à entendre. Le nouveau système d’antenne de la station de Poldhu était beaucoup plus simple que l’original. Même si ce système n’était pas aussi puissant, ils espéraient qu’il le serait suffisamment pour transmettre le signal jusqu’à Terre-Neuve.
À l’heure prévue pour leur transmission, Marconi se tiendrait prêt à utiliser son appareil d’écoute à St. John’s. À l’origine, il voulait utiliser un enregistreur télégraphique, c’est-à-dire un appareil qui recevrait le signal et l’imprimerait également sur des bandes de papier. Cependant, les enregistreurs télégraphiques avaient besoin d’un signal relativement fort pour recevoir un message. Marconi craignait que le signal soit trop faible après avoir traversé l’Atlantique pour que l’enregistreur fonctionne; il a donc plutôt utilisé un récepteur téléphonique. Grâce à cet appareil, il pourrait entendre le message de ses propres oreilles, mais il n’y aurait aucune preuve imprimée de ce message.
Marconi et George Kemp, son assistant, entendent le premier signal vers 12 h 30 l’après-midi. Trois points avaient traversé l’océan Atlantique, ce qui était tout un accomplissement! Pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un coup de chance, la station de Poldhu avait été programmée pour envoyer le même message plusieurs autres fois ce jour-là et au cours des deux jours suivants. La station de St. John’s a bien reçu le message à plusieurs reprises entre le 12 et le 14 décembre.
Le secret est révélé
Le 15 décembre, Marconi fait part de son exploit aux journalistes et, dès le lendemain, il fait la une des journaux du monde entier. Les gens se réjouissent de cette réussite. Alexander Graham Bell propose même à Marconi d’utiliser son domaine personnel à l’île du Cap-Breton pour d’autres expériences.
Malheureusement, l’AATC ne se réjouit pas autant de cette nouvelle. Le 16 décembre, le message de Marconi fait la une des journaux. Le soir même, l’AATC demande à son avocat de remettre personnellement une lettre à Marconi, qui lui rappelle le contrat entre l’AATC et le gouvernement de Terre-Neuve. Selon eux, en pratiquant la télégraphie sans fil, Marconi avait contrevenu à cette entente. Marconi savait que s’il continuait à travailler à Terre-Neuve, il serait traduit en justice.
Or, Marconi voulait poursuivre son travail. La question était alors de savoir où il pourrait le faire.
Marconi aurait voulu construire sa première station au cap Spear, à Terre-Neuve, mais l’AATC ne voulait pas le laisser exercer ses activités à Terre-Neuve tant qu’elle détenait le monopole de la télégraphie. Préférant ne pas attendre trois ans, Marconi fait ses valises et se tourne vers la Nouvelle-Écosse, toute proche. Il quitte St. John’s le 24 décembre 1901.