Les moulins à papier « sans bois »
Vers cinq heures du matin, la cloche du parloir sonne à coups redoublés. La mère Supérieure trouve à la porte un garçonnet avec une valise trop grosse pour lui. L’orphelin a marché seul du tramway à la Maison Saint-Janvier. La supérieure des Sœurs de Miséricorde soulève le bagage qui s’avère étonnamment léger. Le quêteux du village passe à la résidence quémander son petit-déjeuner. Il assure à la religieuse : « C’te valise-là est faite de vieux cartons pis de guenilles de laine qu’on charrie chez J. R. Walker dans le bas de la ville ».
La nouvelle de la valise de voyage se propage. Les moulins à papier du Sault-au-Récollet sont justement à la recherche d’un acquéreur stable, depuis une succession de propriétaires et de faillites. Le carton-fibre offrirait un débouché pour toutes sortes de produits qui réutilisent les chiffons de laine. La matière première est inépuisable dans la grande ville toute proche. De plus, l’énergie hydraulique est gratuite!
La compagnie Back River Power Co. de monsieur Walker acquiert les moulins en 1906. Les moulins à papier « sans bois » occupent toute la longueur de la digue et font vivre une trentaine de familles. La fibre textile est mélangée à la pâte, faite de résidus de papiers et cartons.
Les turbines en acier produisent plus de puissance que les grandes roues à aubes en bois, mais leurs pales gèlent parfois l’hiver parce qu’elles sont complètement immergées dans l’eau. L’incendie des moulins en 1915 est l’occasion de moderniser les installations. Les machines à moteur électrique, capables de façonner toutes sortes de malles de voyage, de boîtes et d’emballages nécessitent plus de puissance.
La Back River Power obtient le droit d’ériger une centrale hydroélectrique sur la rivière des Prairies en 1923, puis le cède à la Montreal Island Power Co. en 1925. La famille Walker opère les moulins à papier jusqu’en 1950.