Une expérience mémorable
Date : 19 janvier 2013
Crédit : Juan Rodriguez (rédacteur), journal Montreal Gazette
Voici une transcription partielle d’un article publié près de 50 ans après les concerts des Mothers of Invention au New Penelope, en janvier 1967. Juan Rodriguez, journaliste rock et éditeur du magazine Pop-See-Cul raconte sa première rencontre avec le groupe. L’article a été publié dans le journal Montreal Gazette le 19 janvier 2013 :
Frank Zappa a amené les Mothers of Invention au New Penelope, à l’angle des rues Sherbrooke et Bleury, en janvier 1967, pour un spectacle de deux semaines comme la ville n’en avait jamais vu. Le théâtre dada et la musique concrète se mêlent au rhythm and blues, au rock et au jazz. Ils se lancent des objets, des poulets en caoutchouc, de la nourriture, à eux-mêmes et au public, et tripotent lascivement une poupée gonflable. Zappa ne se contentait pas de jouer de la guitare, de chanter et de jouer le rôle de maître de cérémonie, mais il dirigeait son orchestre hétéroclite des Mothers, avec des mouvements de bras assurés, des coups de doigt soudains, des mouvements d’auriculaire : cela ne se faisait pas dans la musique rock de l’époque. (J’étais fasciné, accroché ; d’autres sont rebutés par son « arrogance ») (…)
Sa sinistre ambivalence à l’égard de la génération des années 60, et de l’engouement pour le « hip » en général, a marqué toute sa carrière. Frank avait des yeux d’un brun profond et féroce qui pouvaient vous transpercer comme des lasers. Vous étiez censé trembler de peur face à son légendaire « put-down » – un concept important dans les cercles alt dans les années 60 – mais je l’ai trouvé extrêmement poli. Il portait des bottes de chantier et marchait comme un homme en mission, ou du moins un peu comme Groucho Marx. (…)
J’ai écouté avec une attention soutenue leur éclectisme culturel à la chevrotine de L.A. – sur Stravinsky, sur le fait que Freak Out (le premier double album de rock et œuvre « conceptuelle ») a été le premier disque underground vendu dans les supermarchés de Los Angeles (« juste à côté de la caisse »), sur le fait de survivre aux Beatles, sur Edgar Varèse, l’inventeur franco-américain négligé de la musique concrète que Zappa citait sur les pochettes d’album (« L’artiste d’aujourd’hui refuse de mourir ! »), à propos de combien il faisait diablement froid, à propos de comment ils espéraient se trouver à L.A. J’ai trouvé le courage de lui montrer quelques-uns de mes gribouillages et il m’a répondu consciencieusement : « Continuez à faire du bon travail ». Cela m’a fait plaisir et je ne l’ai jamais oublié. (Et depuis, je suis resté un Zappa-phile impénitent).