La «Place du moulin» : le legs d’un visionnaire et d’un novateur

En 2012, les résidents de Sault-Ste-Marie ont été témoins du début des travaux de démolition et de nettoyage du site de l’ancienne papetière. On marquait par le fait même la fin d’une époque qui avait duré plus de cent ans et durant laquelle la ville avait connu une activité industrielle particulièrement fébrile. La fermeture de cette usine de papier signalait une perte d’emploi de plusieurs centaines d’ouvriers qui y avaient travaillé toute leur vie.

Mais voilà qu’au fil des travaux, un ensemble de cinq édifices d’une qualité architecturale remarquable est apparue à travers les amas de débris. C’est alors que l’entreprise de démolition a eu la vision de sauver et de redéployer ces bâtiments, un effort de conservation d’immobilier urbain industriel unique en son genre, porteur d’une promesse de renouveau pour tout un secteur désaffecté de la ville.

Aujourd’hui, l’ancien édifice administratif de la St. Mary’s, l’atelier d’usinage, la tour de pulpe, l’usine de carton et l’entrepôt central se tiennent fièrement debout, tels des vestiges d’un immense château, et non plus les ruines d’une ancienne usine abandonnée. Tous construits en pierre de grès rose rougeâtre typique de la région, ces édifices portent la signature du style néo-roman popularisé par le réputé architecte américain H. H. Richardson. Tourelles, tours, créneaux, plafonds majestueux, grandes arches: ces détails architecturaux sont au coeur de la «Place du moulin», un quartier ré-imaginé et revitalisé de Sault-Ste-Marie. Musique, arts, éducation, entreprises novatrices, un centre culturel des Premières Nations, science, tourisme et marchés locaux sont les attraits qui dynamiseront la transformation urbaine et économique de la «Place du moulin».

Francis H. Clergue (1856-1939) était un entrepreneur américain qui a émigré au Canada à la fin du 19e siècle et qui a créé à Sault-Ste-Marie la Consolidated Lake Superior, un énorme complexe industriel comprenant la St. Mary’s Paper. Clergue rêvait de développer l’énorme potentiel hydroélectrique des rapides St. Mary à partir duquel il envisageait bâtir un véritable empire manufacturier qui exploiterait les ressources naturelles du nord de l’Ontario. Ce rêve était partagé par ses partenaires financiers de New-York et de Philadelphie, mais également encouragé par les politiciens d’Ottawa et de Queen’s Park. Ainsi donc, de nombreux investissements sont versés à la Consolidated Lake Superior. En moins de six ans, notre entrepreneur visionnaire avait mis sur pied toute une série d’entreprises plus imposantes les unes que les autres. En fait, il lui suffisait d’imaginer un nouveau projet pour que celui-ci devienne aussitôt réalité: centrales hydroélectriques, moulin à papier, centre de recherche et d’innovation, mines de nickel, d’or et de fer, compagnies de transport ferroviaire et maritime; rien de semblait pouvoir l’arrêter. Son plus grand joyau aura sans doute été la création de l’aciérie Algoma Steel (l’actuelle Essar Steel Algoma), la toute première entreprise canadienne à fabriquer des rail de chemin de fer.

L’ascension fulgurante de son empire a valu à Clergue la renommée internationale. Les grands médias de partout en Amérique le surnommaient «le roi du Sault» ou encore «le colosse du Nord». D’ailleurs, ce nouveau baron de l’industrie canadienne ne cachait pas son ambition de devenir l’une des plus grandes fortunes au monde. Plusieurs prédisaient que la petite ville isolée de Sault-Ste-Marie deviendrait la nouvelle Philadelphie ou Chicago.