Les forces policières à l’œuvre
Des réseaux comptant plusieurs milliers de contrebandiers sont ainsi mis sur pied. Le crime organisé naît au Québec ! Afin de contrer cette menace, la Police des liqueurs, créée en 1921, collabore avec d’autres corps policiers québécois, canadiens et même américains. Conjointement, ils vont mener des opérations d’envergure comprenant des saisies ainsi que l’arrestation de criminels notoires dont Alfred Lévesque au début des années 1930.
Les années 1920 et 1930 verront les heures de gloire de la Police des liqueurs : l’alcool est légal au Québec, mais il est illégal partout à l’extérieur de la province. Bien que les provinces canadiennes abandonnent la prohibition dans les décennies suivantes, la demande d’alcool illégal dans les années 1920-1930 viendra surtout des réseaux du crime organisé américain. Les Américains sont subitement assoiffés de whisky canadien, de vin St-Georges ou d’alcool frelaté québécois.
Pour répondre à la demande, des réseaux comptant plusieurs milliers de contrebandiers sont mis sur pied. Pensons entre autres aux réseaux dirigés par les désormais célèbres bootleggers Alfred Lévesque au Témiscouata ou Conrad Labelle en Montérégie. Bien que les grandes villes soient touchées par le trafic de l’alcool, ce sont principalement dans les régions frontalières (le Témiscouata, les Cantons-de-l ’Est, la Montérégie, etc.) que l’on retrouve les réseaux les plus élaborés.
La contrebande d’alcool du temps, qui semble aux yeux de tous une affaire banale, s’accroît de plus en plus dans les années 1920 et elle devient même incontrôlable. Ce trafic entraîne d’autres crimes plus graves encore : vols, agressions armées, meurtres, enlèvements, prostitution, etc. dans toute la province. J. A. Patry, inspecteur de police est même directement confronté aux hommes d’Al Capone au cours de plusieurs de ses enquêtes dans les années 1920-1930, notamment dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Le Québec est donc loin d’être épargné par les gangsters !
Devant l’ampleur du phénomène, la Police des liqueurs répond à la criminalité en s’adaptant. Elle se développe rapidement : d’à peine 35 hommes en 1921, elle triple ses effectifs en l’espace de cinq ans d’existence. L’ampleur des réseaux force aussi ses policiers à développer les premières méthodes d’enquête modernes : filatures en véhicule (l’automobile, l’outil privilégié des bootleggers, fait son apparition au Québec à l’époque), la collecte et l’échange de renseignements, l’utilisation d’agents doubles ou de délateurs, etc. Bien que modeste, la Police des liqueurs surprend en menant des opérations partout au Québec.
Les nombreuses collaborations de la Police des liqueurs avec les autres corps policiers qui naissent des 1921-1922, vont permettre des saisies spectaculaires et l’arrestation de fonctionnaires corrompus et de nombreux criminels comme Alfred Lévesque, dont le réseau de bootleggers du Témiscouata sera démantelé après une enquête conjointe de la GRC, des agents douaniers et de la Police des liqueurs en 1933.
Cependant, au cours des années 1920-1930, les corps policiers, tant québécois et canadiens qu’américains, ne parviennent par endiguer le trafic illégal d’alcool : les dimensions du crime organisé sont beaucoup trop vastes et les moyens des organisations policières trop limités. La fin de la prohibition aux États-Unis en 1933 résout en bonne partie le problème, mais sans le faire disparaître pour autant.
Toutefois, l’histoire de la Police des liqueurs est loin d’être finie. L’épisode des bootleggers lui a permis d’accroître ses effectifs et de constituer un solide corps policier : fort de 35 hommes en 1921, il en compte 171 en 1934. Parmi eux, des enquêteurs spécialisés dans la lutte au crime organisé mènent des milliers d’enquêtes et de perquisitions annuellement dans tout le Québec.