Comment s’est formé le Saint-Maurice ?
Source : Appartenance Mauricie Société d’histoire régionale, 2020
Légende racontée par Jean-Philippe Marcotte, Animateur et vulgarisateur historique.
Texte à l’écran : Comment s’est formé le Saint-Maurice ?
Gros plan sur monsieur Jean-Philippe Marcotte. Texte à l’écran : Jean-Philippe Marcotte, vulgarisateur historique.
Jean-Philippe Marcotte :
Faque cette histoire-là m’a été contée du temps que je bûchais dans le nord du nord, passé le camp à Pomerleau. C’est un vieil Atikamekw qui m’a raconté cette histoire-là. En gros, de la manière qu’il m’expliquait ça, c’est que c’est un des leurs, il y a de cela ben ben ben jadis, qui a décidé d’aller vivre en ermite un peu plus loin dans le bois, comme certains des leurs avaient tendance à faire. Ils s’en allaient vivre un peu plus loin, pis les jeunes étaient capables de venir les voir pour leur demander des conseils de par après, mais au moins, ils avaient travaillé pour le savoir en question.
Faque là, il était rendu trois, quatre, peut-être même cinq jours de canot plus loin que le grand village, pis à partir de ce moment-là, il s’est dit : « icitte, c’est une belle place pour m’installer pis prendre racine ».
Aussitôt son barda sorti, il a commencé à se faire à souper. Il s’est dit je vais commencer à chercher la bonne place demain, mais quand même, il était bien satisfait de la place où c’est qu’il était arrivé. À partir de ce moment-là, ben ben sûr, il commence à faire ses affaires, mais au loin, pas ben ben longtemps après, il entend un « ahouuuuu » qui arrive de par le nord. Il comprend ben rapidement que c’est un loup. Pis les loups, si tu n’en entends rien qu’un, c’est quand même pas trop pire, il appelle les siens. Mais quand tu commences à en entendre plusieurs, tu comprends qu’il y a des chances que tu sois peut-être ben le lunch pour la soirée.
Pis c’est exactement ce qui s’est passé. Il a à peine eu le temps de ramasser son arc, ses flèches, la première affaire qu’il a sue, c’est qu’on commençait à entendre les autres loups aux alentours. Il commençait à les sentir dans la forêt. Là, ben sûr, à partir de ce moment-là, quand vous sentez que vous êtes sur le bord de mourir, on est toujours un peu plus religieux. Là vous implorez le bon dieu, dans son cas à lui, le grand esprit qu’ils disent, le créateur de la terre et de tout le reste.
Pis là, aussitôt imploré, en lui disant qu’il pourrait bien servir à quelque chose, aussitôt faite. À partir de ce moment-là, ben on a commencé à entendre un chevreuil arriver. Passer de bord en bord du feuillage d’un bosquet. Pis là, quand il a vu ça, il a dit : « Ça y est, le grand esprit m’a entendu. Ça veut dire que je peux encore être utile à quelque chose ». Le seul détail, c’est qu’en regardant comme du monde le chevreuil, il s’est rendu compte qu’il y avait tellement de pointes sur ce bois là que non non non… ça se pouvait pas. C’était pas un chevreuil normal.
Pis pendant qu’il était en train de se dire ça, comme de fait, la bête a ouvert la bouche pour lui parler. Ouin ! Il a compris assez rapidement que c’était le grand esprit en personne qui était venu lui rendre visite pour lui expliquer que la terre, la forêt, tout ça, c’est à tout le monde, mais que tout le monde doit faire sa part. Les petites bibittes sont mangées par les moyennes bibittes qui sont mangées par les grosses bibittes qui vont être mangées par l’homme. Mais cette année, il n’y a pas un homme qui a été mangé par une bête. Mais comme de fait, à soir, les loups ont faim, pis c’est à son tour.
Ouf ! Comprenez bien que notre grand chasseur, il trouvait que c’était pas mal de poids. « Non non non, mais je peux encore servir à quelque chose. Pis là, juste à voir comment est-ce que… Je suis sûr et certain… Je pourrais, je le sais pas moi, aider les miens, découvrir de nouvelles terres ».
« Non non non, tu comprends pas, je veux que ça serve à tout le monde » Le grand esprit l’a regardé dans les yeux pis il lui a dit : « Tu pourrais peut-être me servir à faire une grande rivière qui pourrait servir à tout le monde. Les bêtes pourraient aller se nourrir dedans, pourraient aller s’abreuver dedans. Les tiens pourraient voyager à travers cette rivière-là. Une grande rivière qui se rendrait jusqu’à la grande rivière qui se rend jusque dans l’océan. »
Notre grand chasseur, plutôt que d’être dévoré par les loups, n’importe quoi était une bonne idée. « Oui oui oui, pas de problème, pas de problème, je vais te faire ça. » Il commence à regarder dans son barda, mais il n’a pas de pelle. Tsé, il ne peut pas se mettre à creuser une rivière.
Il dit : « Non non non, je vais rien que te demander de t’installer dans ton canot d’écorce, de commencer à pagayer, pis moi, je vais faire le reste du chemin. Faque pars, pis descends vers la grande rivière, pis à partir de ce moment-là, tout va d’être parfait. »
Notre homme est pas trop trop sûr, mais en même temps, c’est le grand esprit qui vous le dit. Donc ramasse son barda, met ça dans le canot d’écorce, pis il commence à pagayer. Au début, en bon chasseur, il se promène en belle ligne droite, entre les collines de chaque bord, la forêt pis tout ça.
Mais au fur et à mesure qu’il fait cette belle rivière, parfaite pour les siens, éventuellement, il vient qu’à avoir la curiosité. Parce qu’il pagaie pis la rivière ouvre en arrière, faque là il se dit : « Si jamais je passe par-dessus une butte, ça fait tu quelque chose. » Comme de fait, il voit une belle belle belle grand butte sur sa droite, crampe le canot comme du monde, pratiquement au 90, pis il s’enligne sur la butte en belle ligne droite. Pis il se donne un swing pour être sûr et certain de ben passer par-dessus.
Aussitôt fait, wochhhhhh, la chute qui vient se former en arrière de lui. Là, mes bonnes gens, vous pouvez bien comprendre, avec le son que ça avait fait, avec le vacarme pis tout ça, lui, il commence à être curieux. Faque il commence à cramper le canot, ben ben ben tranquillement pour venir voir ça de plus proche. Pis il se met à tourner en rond, pour voir l’ampleur de ce qu’il venait de créer. Ben ce que le grand esprit venait de créer, il n’avait pas fait sur son bord grand-chose. Mais quand même, ça avait fait une grande chute, pis là ben pendant qu’il faisait des boucles, c’était en train de faire une baie.
Là, notre homme, il commence à être curieux. Il passe par-dessus des roches, fait un rapide icitte, passe une autre butte, fait une autre chute-là. Pendant qu’il est sur le dessus de la deuxième butte, il voit c’te grande rivière-là qui va se jeter dans l’océan. Il comprend ben sûr que la fin de sa tâche approche.
Là, il est pas tout à fait prêt que la fin soit là, faque il se met à faire des grands zigzags. De par la gauche, de par la droite, comme s’il n’était pas tant tant pressé d’arriver au bout. Prendre un peu plus de temps pour arriver à destination. Mais un moment donné, il vient à arriver en paix avec lui-même. Pis à partir de ce moment-là, il se laisse pratiquement porter par le courant, en pagayant à peine, rien que pour dire. En prenant le temps de savourer le moment de son dernier grand pagayage.
Aussitôt rendu sur le bout, vous avez la pointe du canot qui vient toucher à cette eau qui se rend jusque dans la grande mer. À partir de ce moment-là, le canot chavire, notre homme revole, son barda sur l’autre bord. Pis lui, le canot, le barda viennent qu’à faire trois grandes îles sur la fin de la rivière.
Pis c’est depuis ce temps-là mes bonnes gens que la rivière Saint-Maurice est présente chez nous.