Boo-Darbies, bébés et pelles d’argent : folklore souterrain
À Terre-Neuve-et-Labrador, les caves à légumes sont bien plus que de simples lieux de stockage des légumes. C’étaient aussi des endroits où les enfants jouaient, et elles ont été la source d’inspiration de nombreuses histoires, des contes de fées aux fables.
À chaque cave à légumes sont associés différents souvenirs pour chacun de leurs usagers. Voici l’histoire que racontait Tracy Crocker, une descendante des bâtisseurs d’origine de la cave à légumes des Crocker à Bradley’s Cove, à propos du cheval Dexter et comment l’animal aimait tester la résistance de la cave à légumes familiale.
Quand j’étais enfant, nous avions une cave dans notre jardin. Ma grand-mère, toujours paranoïaque, insistait, disant que, si on devait entrer dans la cave, il fallait faire vite. Quand tu entrais – c’est la cave qui est près de chez elle à présent -, tu arrivais sur le plancher en bois, tu devais descendre, prendre ce que tu étais venu chercher, puis remonter et tu étais dehors. Eh bien, elle était toujours paranoïaque à l’idée qu’elle s’effondre, tout comme la cave de Bradley’s Cove, elle nous disait toujours. Nous avions toujours eu notre cheval Dexter, car nous en avions alors besoin pour transporter du bois et toutes sortes d’autres tâches pour l’hiver, et son lieu préféré était celui au-dessus de la cave. Elle racontait que quand elle était dans la cuisine et regardait par la fenêtre, voilà-t’y pas qu’il était là, comme à monter la garde. Si l’on sortait, qu’on le chassait et qu’on rentrait, pensant qu’il était parti assez loin, puis qu’on se remettait à faire ceci et cela ou ce qu’on avait à faire, dès l’instant où l’on se retournait et regardait par la fenêtre, le voilà qui était là de nouveau, au-dessus de la cave. Donc comme il ne l’avait pas fait s’effondrer à l’époque, eh bien, elle est toujours là maintenant.
Ces dernières années, la cave à légumes des Crocker a servi de lieu où se rassembler et boire un verre. Et c’est également là qu’a été caché un butin après un cambriolage !
Les histoires que l’on raconte à Terre-Neuve concernant les caves à légumes et qui font partie de son folklore sont assez courantes. Elliston en possède plusieurs, notamment au sujet d’un homme à la force légendaire et de la naissance des bébés.
Jimmy Chant – Le colosse d’Elliston
Les conteurs d’Elliston affirment que certaines des grandes pierres et des linteaux de porche utilisés dans la construction des entrées de portes de cave à légumes y ont été placés par Jimmy Chant (1886-1924), un homme à la force colossale. C’était un homme d’une grande corpulence « bâti comme un bateau à moteur, avec de grands bras, et toute sa force concentrée dans le haut du corps », explique Don Johnson, de l’office du tourisme d’Elliston :
Jimmy était un homme fort. Il avait de grandes mains. Il parlait peu et avait une voix grave puissante… Il était capable de soulever un bateau et de le porter sous son bras jusqu’à la terre ferme… Un jour, il a porté un poêle Waterloo de Bonavista jusqu’à Elliston, et alors qu’il s’en approchait, il a dû faire demi-tour pour retourner à Bonavista parce qu’il y avait oublié quelque chose.
De nombreuses histoires portent sur Jimmy et sa force légendaire ; on raconte par exemple qu’il pouvait, à mains nues, tordre des clous pour en faire des agrafes, ou encore qu’il a un jour transporté sur son dos, de Bonavista à Elliston, un ballot de cuir à chaussures de plusieurs centaines de livres !
Le magasin des souvenirs : Énorme, bâti comme un bateau à moteur… (sous-titres disponibles en français et en anglais). Profitez de la vidéo avec la transcription en français.
D’où viennent VRAIMENT les bébs ?
Parmi les histoires populaires associées aux caves à légumes, figure celle des parents qui racontaient à leurs enfants que les bébés venaient des caves à légumes. À Elliston, on disait fréquemment aux enfants que les bébés venaient de la cave de John Murphy. Mme Ella Pearce, résidente d’Elliston, a pour sa part, entendu plusieurs de ces histoires qu’elle a, à son tour, transmises. Voici ce qu’elle raconte :
[Les parents] disaient qu’on déterrait les bébés avec une pelle d’argent. Nous avions donc l’habitude d’aller dans les caves pour voir si on les entendrait. Nous ne questionnions jamais nos parents. Nous pensions que tout ce qu’ils disaient était vrai. Comme il y avait des sage-femmes à l’époque, nous pensions que c’était elles qui les déterraient.
Le magasin des souvenirs : Les bébés venaient d’ici, mais on les déterrait avec une pelle en argent… (sous-titres disponibles en français et en anglais). Profitez de la vidéo avec la transcription en français.
Attention aux Boo-Darbies
Les traditions locales n’étaient pas toutes aussi innocentes. En tant que portails vers le monde souterrain, les caves à légumes étaient le cadre d’histoires plus sombres. Les adultes menaçaient parfois d’enfermer les enfants désobéissants à la cave s’ils étaient méchants ou, sinon, créaient des histoires terrifiantes au sujet des habitants mystérieux de la cave pour faire obéir les enfants.
D’après ce qu’a entendu raconter le folkloriste John Widdowson à propos des caves à légumes de la collectivité d’Avondale, on leur disait : « Ne descendez pas là – les boo-darbies sont là ! » Mais les braves gens de Grand Falls poussèrent les choses encore plus loin :
Ceci m’a été raconté par une dame qui, vers 1890, avait été terrorisée par la domestique de la famille : « Si jamais l’un de nous entrait dans la cave où l’on gardait la nourriture… le croque-mitaine viendrait nous chercher, » menaçait-elle. Cette domestique prit même la peine de se déguiser en croque-mitaine pour effrayer les enfants, ce qu’elle réussit parfaitement, car les enfants n’osaient plus s’approcher de la cave.
M. Widdowson a trouvé d’autres histoires similaires au cours de ses recherches. Les parents de Freshwater, à Carbonear, disaient aux enfants qu’un policier était caché dans la cave, prêt à les emmener s’ils étaient méchants.
« Sois sage ou je te mets à la cave où les rats et les insectes vont te dévorer », menaçaient des parents de Buchans. Et dans le village d’Aguathuna, sur la péninsule de Port-au-Port, on mettait les enfants en garde contre les korrigans :
J’étais absolument terrifiée par les korrigans ; ils vivaient dans des endroits sombres, surtout la cave. Ils venaient attaquer les enfants la nuit s’ils n’étaient pas sages. Ils n’étaient pas humains et n’avaient aucune forme particulière ; ils ressemblaient à une sorte de nuage noir capable de vous arracher à l’improviste. Ma grand-mère nous racontait toujours des histoires de petits garçons et de petites filles que des korrigans avaient enlevés parce qu’ils n’étaient pas sages.