Article de Journal Ste. Marie 1921
L’étoile, donné par Peter Carruthers sur le Musée d’Archéologie Ontarienne
Vers: 1921
D’ANCIENS FORTS SERONT BIENTÔT FOUILLÉS
Le ministère de l’Intérieur prend en charge les ruines de l’île aux Chrétiens, près de Midland. Elles seront reconstruites telles qu’elles étaient dans la vieille Huronie, il y a trois siècles.
En exclusivité pour le Star par un correspondant permanent
Penetang, le 23 juillet. – Trois siècles se sont écoulés depuis que le premier homme blanc s’est aventuré en Ontario. De nos jours, seules quelques pierres éparpillées dans un fourré anonyme près de Midland et un amas de débris sur une île non fréquentée de la Baie de Notawassaga constituent des preuves concrètes de martyre incomparable qu’il a connu à son arrivée.
Ces ruines, négligées depuis si longtemps, sont les témoins de l’existence passée de deux forts où de braves hommes sont morts . Le fourré près de Midland était alors Sainte-Marie-sur-la-Wye et les murs étaient ceux de Sainte-Marie II sur l’île aux Chrétiens. Ces forts avaient été construits en 1639 et en 1649 par une poignée de Jésuites et leurs alliés hurons comme refuges contre leurs impitoyables ennemis, les Iroquois.
Ils ne seront plus négligés. Dans un avenir prochain, ces sites deviendront la propriété d’un ministère de l’Intérieur sensibilisé et les anciens forts feront l’objet de fouilles minutieuses et seront reconstruits. En fait, le travail a déjà commencé sur l’île aux Chrétiens et seul un titre de propriété incertain repousse les activités sur le site de Sainte-Marie I. Il est à espérer qu’avant l’hiver, ces deux forts pourront être, à nouveau, vus tels qu’ils étaient il y a 300 ans.
Et cela est justifié, car à l’exception du Fort Marion, merveilleusement préservé à St. Augustine, en Floride, les forts de Sainte-Marie sont sans doute les plus anciennes fortifications sur le continent nord-américain. De plus, leur histoire est celle d’une époque passée du Canada au cours de laquelle les individus ont fait preuve d’un courage, d’une détermination et de toutes ces qualités si chères à l’humanité, jamais égalés – une période trop longtemps oubliée ou méconnue.
Le représentant du Star a pu visiter Sainte-Marie-sur-la-Wye il y a un jour ou deux jours. S’approchant par un étroit sentier, par un portail affaissé (que l’on peut apercevoir sur la photographie ci-jointe), on arrive au niveau d’une talle de pins et de broussailles. C’est un peu décevant si on s’attendait à trouver des murs massifs, des canons éclatés et des ossements humains. En grimpant sur une clôture branlante, on a vue sur une série de monticules rocheux ayant la forme approximative d’un rectangle. Dans chaque coin, une maçonnerie plus marquée délimite ce qui fut jadis un épais bastion et, sur un côté, on aperçoit un fossé profond, vestige du canal qui menait à la rivière Wye, à environ 50 verges de là. C’est le monument de ceux qui les premiers ont épelé le mot « Canada » en lettres de sang.
Mieux conservée
Sainte-Marie II, sur l’île aux Chrétiens, est un peu mieux conservée. Les murs sont atteignent, en quelques endroits, une hauteur de quatre à six pieds. Au centre, on peut apercevoir aisément l’ancien puits. Mais depuis son abandon il y a plusieurs siècles, le fort n’a servi que de terrain de jeu pour les Indiens de l’île, demeurant trop longtemps dans l’ombre, « sans honneur et méconnu ».
Les fouilles envisagées sur ces sites négligés révéleront probablement quelques reliques remarquables. Leurs ardents défenseurs ont quitter ces deux forts en pleine hâte, désespérés et il est quasiment certain que, dans les six pieds de terre qui se sont accumulés et abritent ces anciens murs, se trouvent de nombreux témoignages de ces jours héroïques – messages martyrs, adieux d’une race disparue.
Un exemple de ce à quoi on peut s’attendre est ce canon ancien découvert accidentellement sur l’île il y a deux ans et qui se trouve désormais dans la bibliothèque, malgré toutes les ruses archéologiques qui ont été déployées pour le transférer au Musée provincial, à Toronto.
Le représentant du Star a eu l’occasion d’examiner le canon lorsqu’il a pris la photo ci‑dessus. Il mesure environ trois pieds de long, dont un pied constitué d’une lourde culasse octogonale en bronze. Le canon est apparemment fabriqué d’une plaque de fer roulées et maintenue en place par douze anneaux de fer, d’un demi-pouce d’épaisseur et de deux pouces de large. La surface supérieure de la culasse en bronze arbore l’ancienne couronne française avec sa fleur de lys et la date de 1630, ainsi que les initiales « Le G. C. » dont la signification est inconnue, bien que cela ait été traduit par « Le grand cardinal » ou « La grande chartreuse ».
Le Canada dispose d’autres reliques célèbres. Il y a la cloche de Louisbourg qui est au Château de Ramezay, à Montréal, et le « Chien d’or » de Québec – un chien en bronze rongeant son os et qui, pendant de nombreuses années, gardait le bureau de poste de Québec. Il arbore une légende singulière : « Je suis le chien qui ronge l’os / Et le rongeant je prend repos / Un temps viendra qui n’est venu /Où je mordrai qui m’a mordu ». Plus riche encore d’associations historiques, cet ancien canon des premiers hommes blancs est, du fait que sa carrière romantique fait également partie de l’histoire des deux forts de Sainte-Marie, peut‑être pertinent ici.
Francis Parkman, historien éminent de l’Amérique du Nord, raconte (dans « Jesuits of North America ») comment au début du XVIIe siècle, le grand cardinal Richelieu avait obtenu pour les Jésuites, ces aventuriers des étendues sauvages de la Huronie, une petite pièce d’artillerie fabriquée à la main par les moines sulpiciens du sud de la France. La Côte d’Azurest si loin de la rivière Wye, pourtant le périple de ce canon – un périlleux voyage à la voile de plusieurs semaines à travers l’Atlantique, et un trajet également dangereux depuis Québec en remontant la rivière des Outaouais et la rivière Mattawa, puis à travers le lac Nipissing, en descendant les rapides bouillonnants de la rivière des Français, alternant portages et aviron, jusqu’à ce qu’il soit finalement monté derrière les murs de pierres de cette petite place forte que les Jésuites et leurs alliés hurons avaient érigée en 1639, le fort Sainte-Marie I.
La Huronie envahie
Pendant environ dix ans, ce lieu a été sa résidence. Mais en 1649, les Iroquois implacables lassés de s’attaquer à leurs victimes hors de leur domaine, ont envahi la Huronie elle‑même en torturant, brûlant, tuant et semant la désolation. En dernier recours, le fort sur la rivière Wye a été détruit par ses défenseurs, le reste des villages hurons a été sacrifié aux flammes, et la petite bande d’hommes blancs et les 8 000 Hurons qui restaient d’une nation jadis puissante se sont enfuis sur l’île aux Chrétiens. Et ils ont emporté avec eux le canon du cardinal. Ils y ont bâti un fort aux épais remparts hauts de quatorze pieds. C’était la dernière résistance d’hommes désespérés et d’une race agonisante – les Jésuites et les Hurons menacés.
L’horreur indicible de l’hiver passé derrière les murs de cette île refuge serait digne de la plume de Dante. Bien que l’enceinte de pierre et les eaux profondes aient fait reculer les Iroquois, ils n’étaient pas à l’abri de la maladie et de la famine. Le printemps venu, les ossements des morts jonchaient le sol. Il ne restait que trois cent Hurons sur les 8 000 qui s’y étaient réfugiés – derniers vestiges d’un peuple qui avait auparavant régné sur toute la Huronie. Désespérés, les hommes blancs décidèrent d’abandonner pour toujours ce pays infernal et, au début de 1650, ils quittèrent l’île avec une poignée de Hurons pour aller se réfugier sous les remparts de Québec. Au cours de leur périple, ils ont rencontré une expédition venue les secourir, mais leur horreur était si grande qu’ils préférèrent se détourner de la Huronie pour toujours, après des années de patient sacrifice et de souffrances sans égales.
Cette fois-ci, le canon n’a pas accompagné ses maîtres français. Il est resté abandonné sur le sable où les derniers réfugiés désespérés l’ont débarqué de leur canot lourdement chargé, jusqu’à ce qu’un Indien maladroit, en l’an de grâce 1919, le tire de l’oubli en se meurtrissant le gros orteil. Ce canon va désormais occuper une place de premier plan lors des célébrations considérables du tricentenaire qui se tiendront ici au cours de la semaine du 1er août – lorsqu’il sera monté sur un affût spécial afin que les visiteurs de tout le continent puissent l’admirer.
Les plans des deux forts Sainte-Marie tels qu’ils étaient ont été reproduits ci-dessus. Il est intéressant de noter que la disposition particulière des bastions dans chaque angle des deux forts répond aux principes de Vauban, célèbre stratège qui a conçu les défenses de Verdun, dont certains elements sont encore debout aujourd’hui, et dont le modèle a été suivi pour la construction de ces petits avant-postes de la civilisation au cœur de la vieille Huronie.