Entrevue avec Percy Moores, survivant du naufrage du S.S. « Caribou »
Vidéo :
CBC TV News, Here & Now, diffusé le 14 octobre 2012.
Présentatrice des nouvelles : Debbie Cooper. Journaliste : David Zelcer. Interviewé : Percy Moores
Transcription de l’entrevue avec Percy Moores, survivant du naufrage du S.S. Caribou, réalisée par la chaîne de télévision CBC en 2012, à l’occasion du 70e anniversaire du naufrage :
[Une présentatrice de nouvelles télévisées dans un studio parle devant une image montrant un membre de la Marine en uniforme, une femme, un navire à vapeur et une bouée de sauvetage marquée avec les mots S.S. Caribou].
Présentatrice de nouvelles : Bienvenue à nouveau à Here and Now. Une triste cérémonie a eu lieu cette fin de semaine dans le détroit de Cabot, à l’endroit exact où le traversier Caribou a été coulé par une torpille allemande. C’était il y a 70 ans, en 1942. Cent trente passagers et membres d’équipage ont péri. Ce soir, un homme qui était présent lors de cet événement nous raconte ce qu’il a vécu cette nuit-là. Percy Moores était dans la marine britannique et rentrait chez lui, en permission, à Terre-Neuve. Il a raconté son histoire à David Zelcer, de Here and Now.
[Une vue des vagues sur la mer avec la bouée de sauvetage marquée S.S. Caribou. Puis un journaliste se tient au bord de la mer dans un petit village côtier de Terre-Neuve].
Journaliste : Il y a soixante-dix ans, en 1942, un traversier du Golfe, le Caribou, a coulé au large de Port aux Basques. Il avait été frappé par une torpille allemande. Cette tragédie a été la plus meurtrière dans les eaux canadiennes pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus de cent personnes ont survécu et nous nous sommes entretenus avec l’une d’elle, ici à Cottrell’s Cove. En 1942, Percy était matelot pour la marine britannique sur un dragueur de mines dans la Manche.
[Une vieille photo d’un jeune matelot en uniforme de la marine. Puis un homme plus âgé portant une casquette et des lunettes parle près du bord de l’océan].
Percy Moores : Nous étions tous de bonne humeur, nous avions pris un petit verre… vous savez… et nous sommes restés debout tard, à parler, à plaisanter. Personne ne pensait même… Je suppose que la guerre était loin de nos pensées à ce moment-là. On était en permission. On rentrait chez nous.
[Tableau du traversier S.S. Caribou. Puis une photo d’un dragueur de mines de la marine. Vieux film d’un sous-marin allemand remontant à la surface. Puis vieille photo du navire à vapeur S.S. Caribou.]
Journaliste : C’était une traversée de nuit. Le Caribou était escorté par le dragueur de mines canadien Grandmère. Les U-boots allemands avaient déjà coulé 19 navires au large de la côte est. Ils n’en couleront qu’un de plus.
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : Puis, à quatre heures du matin, nous avons tous été réveillés brutalement.
[Vieux film montrant un capitaine d’un U-boot allemand debout devant le périscope de son sous-marin. Un membre de l’équipage du U-boot crie « au feu ». Une torpille file à toute vitesse dans l’eau, puis un navire marchand explose dans les flammes. Puis un journaliste parle avec un homme plus âgé au bord de la mer].
Journaliste : Quand avez-vous réalisé pour la première fois que quelque chose n’allait pas cette nuit-là ?
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : La torpille nous a frappés à peu près au milieu du navire… et a explosé… J’étais dans une couchette à ce moment-là, la couchette du haut. Et je me suis retrouvé sur le sol. Je me suis alors précipité dans la cage d’escalier. Mais voyez-vous il n’y a eu que quatre minutes entre le moment où la torpille a frappé et celui où le navire a coulé. Ça ne vous donne pas beaucoup de temps pour réfléchir.
[Vieille photo d’un navire à vapeur et des canots de sauvetage.]
Journaliste : Beaucoup de gens sont morts dans les eaux glaciales de l’Atlantique à cause d’un problème avec les canots de sauvetage.
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : Art et moi avons essayé d’aider à faire descendre les canots de sauvetage, vous savez. Ils n’étaient pas préparés à ça. J’imagine qu’ils ne s’attendaient pas à ça parce que tout était rouillé et et pas le temps de faire quoi que ce soit, vous savez. Dans la marine, on avait l’habitude d’utiliser nos gilets de sauvetage comme oreiller. La plupart du temps, tu portais ton gilet de sauvetage, surtout si tu te retrouvais dans une situation particulière. Tu mets ton gilet de sauvetage et tu l’utilises comme oreiller. Et c’est ce que j’ai fait cette nuit-là. Mais dès que je suis arrivé sur le pont, quelqu’un m’a pris mon gilet de sauvetage. Il s’y est accroché et l’a arraché. J’ai failli me noyer. J’espère que le gars qui l’a pris a survécu. Oui, j’ai survécu sans gilet de sauvetage.
[Vue des vagues sur la mer.]
Journaliste : Ils étaient à 35 kilomètres de Port aux Basques.
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : Je me suis dirigé vers le pont et j’ai failli me noyer, car pendant un moment la succion du navire m’a entraîné au fond de l’eau. Quand je suis remonté à la surface, j’ai entendu des gens sur le… vous savez, je les ai entendus chanter et pleurer et tout ce que vous voulez. Et j’ai nagé vers le radeau, je suis monté sur le radeau.
[Vieux film montrant une mer agitée. Un marin portant un gilet de sauvetage nage dans l’océan. Des débris et un corps flottent sur la mer. Un groupe de survivants sont blottis les uns contre les autres sur un radeau de sauvetage].
Journaliste : La mer était calme lorsque la torpille a frappé, mais elle est maintenant en furie avec un vent du sud-ouest. Les survivants ont passé quatre heures à s’accrocher, pendant que des personnes autour d’eux partaient à la dérive. Percy Moores était dans un radeau de sauvetage surchargé de survivants.
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : Il était si plein, si rempli qu’il a renversé quelques fois et quelques personnes ont été emportées, vous savez. Mais il est resté en place, il est resté en place jusqu’à ce qu’on vienne nous chercher. Il ne pouvait pas contenir toutes les personnes qui au début voulaient monter à bord, vous savez. Il n’y avait pas de place. Il n’y avait pas moyen de… il y avait encore beaucoup de personnes accrochées sur les côtés, vous savez. Et tu ne pouvais pas faire ça très longtemps dans ce genre d’eau. On ne pouvait pas rester dedans très longtemps sans lâcher prise.
[Vieux film montrant des débris flottant sur l’océan. Puis un homme plus âgé parle au bord de la mer.]
Après que les choses se soient un peu calmées, les gens chantaient des hymnes et des chansons comme « Squid Jigging Ground » ou tout ce qui te venait en tête, vous savez. Ouais, je ne pensais pas qu’il y avait beaucoup d’espoir. Là-bas, à 30 km au large et sans gilet de sauvetage. C’est très… c’est une situation assez difficile. Je crois me souvenir avoir dit adieu à tous ceux que je connaissais. Mais je crois me souvenir de quelque chose à ce propos, mais… vous savez, je ne pensais pas qu’il y avait beaucoup de chances, je suppose. Évidemment, quand on a 19 ans, on pense toujours qu’il y a des chances. Ou du moins, on essaie.
[Photo dans un cadre d’un dragueur de mines de la marine. Vieille photo des survivants du naufrage du S.S. Caribou sur le pont arrière du dragueur de mines.]
Journaliste : Le navire d’escorte Grandmère avait reçu l’ordre de partir à la recherche du sous-marin allemand, mais il est finalement revenu chercher les survivants.
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : Tout ce que je portais c’était mon haut, ma tunique et quelque chose comme ça. Je portais seulement un caleçon et le reste était dénudé. Et l’un des marins m’a donné une paire de pantalons.
[Vieille coupure de presse à propos du naufrage du S.S. Caribou. Bouée de sauvetage marquée avec le nom « S.S. Caribou ».]
Journaliste : C’était une grosse nouvelle à Terre-Neuve. Même en 1942, la nouvelle s’est vite rendue dans le petit village côtier de Cottrell’s Cove.
[Sur le bord de la mer, un homme plus âgé est en train de parler.]
Percy Moores : C’était juste… c’était la guerre. Et c’était un peu plus près de chez nous que ce que nous avions tous imaginé, je suppose.
[Dans un petit village portuaire au bord de la mer, journaliste en train de parler.]
Journaliste : La marine britannique a retenu sa paie jusqu’à ce qu’elle ait récupéré l’argent nécessaire pour remplacer l’uniforme et le matériel qu’il avait perdu sur le Caribou. Mais Moores dit que cette perte a été largement compensée par tous les voyages gratuits qu’il a effectués sur le traversier du Golfe au cours des années qui ont suivi. David Zelcer CBC News, Cottrell’s Cove.