Le Géant bipolaire, une légende vivante! – Quatrième partie

Avec deux enfants presqu’adulte à ses côtés, il se cherche bientôt des affinités ailleurs. C’est ainsi qu’il fréquente une charmante ukrainienne pendant quelques années. Son regard franc et azuré le fait entrer dans la danse des nations slaves à chaque fois qu’elle lui tend la main, assouplissant ses mœurs, son caractère et ses idées de frontières : il voyage par ses yeux, mais… Mais il y a bien un revers à la médaille. Un soir d’automne, après une beuverie, il l’assène d’une crise… identitaire.
Le bleu d’iris devient un océan salé dont la crue est remplie de chagrin. Elle répond promptement par la réciproque, déconstruisant ses chimères, elle détourne le regard et va rejoindre le reste de sa famille à… Toronto.
Encore une fois encarcané dans une malaisante solitude, le géant prend le temps de rapailler ses esprits et ses biens pour retrouver le Nord en lui et la force d’aimer. Il baisse alors les bras… pour mieux retrousser ses manches, réarpenter le territoire à nouveau de long en large, puis s’arrêter un instant les coudes sur les genoux. Il est au bord de la retraite, frappé par les couleurs à la « Laimon Mitris » qui jaillissent de partout. Happé par les éclats vitrioliques de ciel rose entrant en ses pupilles dilatés, il s’avoue vaincu par son territoire. Tant de jours. Tant de détours. Tant de tourments pour en arriver à savoir que le territoire qu’il a dégagé, ouvert et habité est en lui et que nulle part ailleurs il ne se sent chez lui.
Qu’il avait jadis rêvé de ce que serait ce terrain giboyeux lorsqu’il était insulaire et qu’au fond, il avait trouvé encore mieux; le repère de l’insoumis; le lieu de tous les possibles; un territoire d’alchimie qui boit ses larmes salée pour les changer en eau douce. Un terrain d’abondance pour troquer les choses qu’il lui manque dans la valse du concert des nations.
Or, qu’a-t’il fait de son territoire si cher à ses yeux? Oui, il y avait bien les villes droites, les villages sinueux, les promontoires aux vues panoramiques, les sentiers de secrets, le travail propre de la terre, mais… Combien de crevasses immenses, de forêts de conifères obligés, de dépotoirs en eskers ainsi que de crachats de bitume, de fumée noire dans une course au développement qui fait toujours plus de perdants à chaque seconde, parce qu’on n’a jamais ressenti un manque aussi grand que lorsqu’on court pour ressembler au sud? Il s’est dit qu’en effet, il a une pension à payer à sa deuxième femme, celle de la ville.
Tête pointant le Nord, le géant magnétique doit dorénavant prêter oreille à la voix de ses instincts d’insoumis pour vivre en propre sa nordicité vraiment féconde. Il s’est dit qu’en effet, il a une pension à payer à son ex-femme, celle de la ville.
Son père l’a déçu en lui cachant qu’il faisait la piastre sur le dos de ce territoire qu’il ne connaissait pas vraiment, afin de payer à l’infini de lourdes dettes aux créanciers. Or, il faut être imaginatif, faire preuve d’une joyeuse délinquance créative pour s’appartenir soi-même, tout en mettant un terme à quelques relations toxiques qui rendent son territoire exsangue, et lui-même par extension.